Mercredi 15 juin 2011

Les Bettencourt, une famille formidable !

On fait semblant de ne pas s’y intéresser. On joue les lassés, les blasés, les dégoûtés. Le respect de la vie privée. Les indignés : « Ces millions d’euros qui se baladent, en pleine crise, quelle indécence ! » La vérité est qu’on ne peut s’en détacher. La saison 1 nous a passionnés, avec Banier et son milliard ; la saison 2 attaque fort avec l’ancêtre sous tutelle. Les plus vieux se souviennent de Dallas, les plus lettrés de Balzac. Nous sommes tous des voyeurs, tous des majordomes indiscrets qui enregistrons en douce. Tous des journalistes de Mediapart jouant aux vertueux redresseurs de torts. Nous sommes tous de lamentables envieux. Tocqueville l’avait dit il y a longtemps : l’envie est le principal défaut des Français, peuple de paysans qui lorgnent toujours le champ du voisin. Et quand le voisin a un château…

Mais le destin des riches, des très riches, nous parle aussi de nous, de ce que nous sommes, de notre Histoire. Au XIXe siècle, c’est Rothschild qui incarnait l’argent, sa puissance et sa munificence, ses réseaux dans toute l’Europe : Louis-Philippe qu’il voyait sans prendre rendez-vous, puis Napoléon III, qu’il invitait à dîner en son château. Haï et craint. Un mythe, devenu de son vivant Nucingen, un personnage de roman, avec son accent allemand ridicule, ses manies de juif immigré, ses passions amoureuses.

Au XXe siècle, les Bettencourt ont pris la place. Ils incarnent toutes les passions françaises. Le père, Eugène Schuller, le génie de l’inventeur, et la folie du comploteur. La Cagoule, le fascisme, la Collaboration. Mais aussi la Résistance. L’amitié avec Mitterrand. Et Bettencourt, le gendre, ministre de De Gaulle. Le goût si français pour le glaive et le bouclier.

Même après la mort du père et du gendre, les Bettencourt n’en ont pas fini avec l’Histoire, avec nous. Le destin de L’Oréal, c’est le luxe français à l’heure de la mondialisation. La rencontre improbable de Marie-Antoinette et du Parti communiste chinois. Des clients de toutes les couleurs, de toutes les races. Des milliards de clients, des milliards de dollars, des milliards de stock-options. Des milliards d’impôts et des milliards dans les paradis fiscaux. Et un milliard pour François-Marie Banier, le séducteur germanopratin, qui rejoue, lui aussi, les délices et poisons de la Cour pour faire rire la vieille dame qui s’ennuie à mourir. Il ne manque plus que les perruques et la poudre pour se croire avec les courtisans rapaces du Petit Trianon. Marie-Antoinette nous poursuit.

Nestlé aussi. Le géant suisse, symbole de l’entreprise globalisée, avalerait bien notre trésor si français. Un de plus. On soupçonne la fille et son gendre de vouloir vendre l’héritage familial. Le Président s’en mêle, un ministre prend une balle perdue. Des enveloppes se baladent. Des politiques traités comme des domestiques. La mère croit la fille malheureuse, la fille croit la mère folle. Soudain, ils redeviennent proches de nous. Une mère, une fille, c’est nous. Nous vivrons tous vieux. Tous centenaires. Tous Alzheimer. Tous sous curatelle. Bettencourt, priez pour nous.

Le Bûcher des vaniteux
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