Lundi 16 mai 2011
Le cauchemar américain
« Le pervers. » « L’argent sale. » Les premiers titres de la presse américaine ne font pas dans la dentelle. Les réactions françaises insistent plutôt sur la présomption d’innocence. On répète que Dominique Strauss-Kahn plaide non coupable. Vérité en deçà de l’Atlantique, erreur au-delà. On connaît les différences ancestrales entre Français et Américains. Pour ceux-ci, le sexe est le grand tabou ; c’est l’argent pour les Français. Les Américains livrent facilement leurs revenus, que les Français taisent avec un soin jaloux ; mais ces derniers déballent, hâbleurs, leurs conquêtes, quand les Américains font l’éloge hypocrite de la fidélité. On a reproché à Bill Clinton les douceurs de sa stagiaire Monica ; Sarkozy est épinglé pour le Fouquet’s et le yacht de Bolloré.
En une semaine, Dominique Strauss-Kahn a transgressé les tabous des deux sociétés dans lesquelles il évolue : il est monté dans une Porsche Panamera en sortant d’un appartement de la place des Vosges ; et il s’est fait arrêter par la police américaine pour tentative de viol d’une femme de ménage commis dans une suite à 3 000 dollars d’un hôtel de luxe où il a ses habitudes quand il se rend à New York. L’argent et le sexe, les deux moteurs des hommes, et en particulier des hommes de pouvoir.
Mais la police américaine a poursuivi le patron du FMI jusque dans son avion, lui reprochant sans ménagement de fuir. On sait depuis Tocqueville que la société américaine est régie par un égalitarisme démocratique sourcilleux auquel notre époque a ajouté un féminisme suspicieux et la religion de la transparence. Il n’est pas certain que la police française aurait arrêté l’ancien ministre des Finances socialiste. Héritage monarchique et ancienne mansuétude pour les amours ancillaires de nos grands hommes. Il n’est pas sûr non plus que la police française aurait accordé du crédit au témoignage de la femme de ménage. Pourtant, il y a belle lurette que le landerneau médiatico-politique hexagonal se repaît des rumeurs insistantes autour des habitudes sexuelles de Dominique Strauss-Kahn, parfois fort impérieuses. Mais la loi du silence avait résisté. Pour combien de temps désormais ?
Les aventures galantes de Strauss-Kahn avec l’épouse d’un membre étranger du FMI avaient déjà scandalisé le board de l’institution internationale, mais amusé les Français. Les succès du French lover flattaient notre ego national. Cette fois, notre patriotisme se retourne contre DSK, qu’on accuse d’abîmer l’image de la France. Comme un vulgaire footballeur. Mais en Amérique, souvent, des femmes utilisent le sexe pour faire de l’argent. Beaucoup d’argent. Provocations, dénonciations, chantages. Hollywood en a tiré cent films. Des esprits français suspicieux en déduisent que le patron du FMI a été victime d’un traquenard, monté par on ne sait qui. Ce réflexe complotiste, habituellement reproché par la gauche française à l’extrême droite, est cette fois-ci agité en sous-main par les communicants strauss-kahniens en plein désarroi. L’aura de DSK, en particulier auprès des classes supérieures, tenait beaucoup au fait qu’il avait été adoubé par la grande institution financière mondiale sous imperium américain. Le rêve américain s’est transformé en cauchemar.