A comme Augmentations
Jean-Claude Trichet est comme le Zangra de Jacques Brel. Dans sa garnison de Belonzio – Trichet, lui, est à Francfort –, l’officier a longtemps attendu un ennemi qui le fera héros. Trichet, son ennemi farouche, c’est l’inflation. Et puis, alors que Zangra est devenu vieux général et que Trichet achèvera bientôt son mandat à la tête de la BCE, l’ennemi est là. Les prix des produits alimentaires galopent, le pétrole aussi, l’inflation pointe son nez. Mais comme Zangra, Trichet ne sera pas héros. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
C’est la gauche en 1983 qui a brisé la spirale entre prix et salaires, qui permettait aux salaires de se protéger, vaille que vaille, contre la hausse des prix. Une indexation qui, en Europe, n’existe plus qu’en Belgique, et que le récent pacte de compétitivité européen condamne fermement. Depuis cette époque, les salaires français ont très peu augmenté et 80 % des augmentations n’ont concerné que 1 % des plus hauts revenus ; seules les charges sociales ont explosé. Les Allemands, depuis 2007, ont, eux, fait payer une partie de leurs charges sociales par la TVA et imposé des baisses de salaires, provoquant une chute brutale de la consommation, mais favorisant leur magnifique machine exportatrice.
En France, la consommation a tenu, car la mondialisation a permis une baisse continue du prix des produits courants. Le salarié français perdait ainsi son emploi ou voyait son salaire stagner à cause de la concurrence des travailleurs chinois ou indiens, mais le consommateur français, le même en fait, s’y retrouvait, plutôt moins que plus, par la baisse du prix des produits fabriqués par lesdits Chinois et Indiens. Ajoutez-y un peu, beaucoup de dettes et d’assistanat, et la machine avançait poussivement.
Cet équilibre risque justement d’être rompu par les mauvaises récoltes du Brésil et l’explosion démographique de la planète, sans oublier la spéculation internationale sur les matières premières et agricoles, dirait Sarkozy, et puis la hausse du prix du pétrole. La mondialisation, comme le facteur, frappera alors deux fois. Le salarié, qui ne sera toujours pas augmenté, et le consommateur qui verra les prix monter. Trichet n’y est pas pour grand-chose ; seul l’abandon du modèle libre-échangiste mondialisé pourrait être une alternative. Mais pour l’instant, la fameuse déglobalisation n’est qu’un sujet de thèse.
En attendant, le ministre du Budget Baroin ne peut que faire semblant de contredire Trichet. Il ne faut pas désespérer Billancourt. Les salariés français, eux, votent avec leurs pieds. Un récent rapport de la Banque mondiale nous apprend en effet que nous sommes devenus un grand pays d’émigration. Nos travailleurs à l’étranger ont envoyé au pays, en 2009, 12 milliards d’euros. La France se place ainsi juste derrière l’Inde, la Chine, le Mexique et les Philippines… Un classement flatteur ! 320 000 Français se rendent chaque jour, qui au Luxembourg, qui en Suisse, qui à Monaco même, pour trouver les salaires élevés que la France ne leur donne plus. Il faudrait peut-être prévenir les Tunisiens qui se pressent par milliers à Lampedusa en rêvant de l’eldorado français…