Mercredi 7 décembre 2011
Poutine, la tentation totalitaire
On est encore loin d’un printemps russe en automne. Poutine conservera la majorité à la Douma. Son parti, Russie unie, a réalisé son plus mauvais résultat électoral depuis sa création en 2000 ; mais 49,5 % des voix aux législatives feraient rêver n’importe quel chef d’État occidental en place depuis dix ans. Aucun candidat ne menace sérieusement la victoire annoncée de Poutine à la présidentielle de 2012. Dans son tréfonds, le soutien du peuple russe lui est assuré. Dans un pays où l’État, qu’il soit tsariste ou communiste, a toujours joué au Petit Père des peuples, il sait encore gré à Poutine d’avoir restauré l’autorité de l’État après la folle période de la présidence d’Elstine où libéralisme et démocratie furent synonymes d’anarchie, de prédation, de corruption, et de richesses nationales offertes à l’encan aux étrangers. « Vous êtes pour la démocratie ou pour le peuple ? » fut la question longtemps posée en Russie.
Mais les meilleures choses ont une fin. Les nouvelles générations n’ont pas souvenir du terrible désordre eltsinien. Les jeunes bourgeois en contact avec l’Occident ont hâte de voir leur pays s’aligner sur ces standards démocratiques. Le massif bourrage des urnes et le truquage de résultats leur font honte. Ce sont eux qui défilent. Pour montrer leur désaccord, ils ont voté pour les sociaux-démocrates, les nationalistes, et même pour les communistes qui n’ont pas été à pareille fête depuis la chute de Gorbatchev.
Leurs parents, la bourgeoisie moscovite, n’ignore pas que les donneurs de leçons occidentaux ne sont pas toujours vêtus de lin blanc. Ils se souviennent de la victoire de George Bush junior en 2000 grâce aux bourrages d’urnes dans l’État de Floride, opportunément gouverné par son frère. Les plus vieux n’ignorent pas que Kennedy lui-même fut élu en 1960 grâce aux truquages de la mafia. Mais ils en ont assez, un peu à la manière de la bourgeoisie tunisienne ou égyptienne, de voir toutes les richesses accaparées par le clan d’affairistes autour du pouvoir.
Ils ont cru, à l’instar des chefs d’État européens, que Medvedev serait le grand nettoyeur des écuries d’Augias au nom de la modernité. Tout le monde a compris désormais que le fringant président russe ne faisait pas le poids face à Poutine. Les talentueux technocrates qu’il avait ramenés des universités américaines n’ont pas réussi à rendre l’industrie russe compétitive. Heureusement pour eux, la sortie de l’Allemagne du nucléaire donne une rente de situation au gaz russe pour les décennies à venir. L’alliance avec l’Allemagne est d’ailleurs un des axes principaux de la diplomatie poutinienne, concrétisée par la présence de l’ancien chancelier Schröder à la tête de Gazprom. Le tsar Poutine, comme ses lointains prédécesseurs, compte sur ses traditionnels tuteurs germaniques pour faire revenir la Russie éternelle dans le concert des grandes puissances du XXIe siècle. Pour atteindre cet objectif ambitieux, Poutine joue la stabilité politique et la continuité de l’État. Mais pour ce faire, il lésine de moins en moins sur les moyens.