Saint euro, priez pour nous !
L’euro nous protège, l’euro nous a protégés, l’euro nous protégera. C’est notre sainte trinité. On est prié de psalmodier chaque jour cette parole d’évangile de peur d’être excommunié par le tribunal de l’inquisition médiatique. L’euro nous a protégés : pendant une dizaine d’années après la création de la monnaie unique, nous avons emprunté au même taux que les Allemands. Même les Grecs ont eu ce privilège insigne. Ils se sont joyeusement gobergés, s’endettant à tout-va ; nous aussi. La fête est finie. Les Grecs n’ont plus les moyens d’aller sur les marchés, les Italiens empruntent à 7 % quand les Allemands, eux, se refinancent à moins de 2 %. Le remplacement de Berlusconi par Mario Monti n’a rien changé. Les Espagnols ne sont pas mieux lotis. Et, depuis quelques jours, les Français empruntent, eux, à 4 %. Le spread, le fameux spread, s’élargit avec l’Allemagne. Les marchés, insensiblement, nous font passer de la zone de l’Allemagne à celle de l’Italie et de l’Espagne.
Aucun pays n’est encore sorti de l’euro, mais tout se passe comme si la zone euro n’existait plus. Comme si nous avions déjà perdu notre triple A. Comme si les marchés étaient en train de réinventer des monnaies nationales, puisqu’ils traitent chaque pays selon ses mérites et selon ses besoins. L’euro ne nous protège plus. Le Japon est beaucoup plus endetté que l’Italie ou la France, mais il emprunte à un taux inférieur à celui de l’Allemagne. Le budget de l’Angleterre est beaucoup moins bien géré que celui de l’Espagne, mais les Britanniques empruntent à 2 % tandis que les Ibériques le font à 6 %. Perfide Albion. Notre État-providence français est certes obèse, mais celui de la Suède n’est pas moins généreux et ce pays se porte comme un charme.
Le problème, c’est l’euro. Comme l’explique lumineusement le prix Nobel américain Paul Krugman : « En adoptant l’euro, l’Espagne et l’Italie se sont en fait réduites au rang de pays du tiers-monde, obligées d’emprunter en devises étrangères. » Le sombre diagnostic vaut aussi pour la France. Pour recouvrer cette souveraineté monétaire inconsidérément abandonnée, les Français proposent que la Banque centrale européenne ressorte des placards la planche à billets. Les fourmis allemandes refusent et exigent d’abord de mettre sous tutelle budgétaire les cigales méditerranéennes. Les deux ont raison et les deux ont tort. Tous, ils continuent de croire que les décisions institutionnelles peuvent briser les logiques économiques. Tous, ils ne veulent pas voir qu’une union monétaire réussie entraîne toujours un accroissement des inégalités régionales, au profit des régions les mieux dotées, les plus riches. La redistribution alors est faite par l’État. En France, la région parisienne paye pour la Corrèze ou les Antilles. En Allemagne, l’ouest continue d’entretenir les Länder de l’est, mais refuse de payer pour le sud de l’Europe.
La logique de l’euro, c’est une France écartelée entre un Nord et une Alsace aspirés par le dynamisme rhénan et une France de l’ouest et du sud devenus des déserts industriels. Ce serait alors la fin d’une certaine forme d’égalité républicaine établie sur notre territoire depuis le XIXe siècle. Mais répétez après moi : « L’euro nous protège, l’euro nous a protégés, l’euro nous protégera. »