La drôle de guerre en Libye
La guerre est toujours fraîche et joyeuse. Au début. Ce n’est qu’après qu’elle devient sale. C’est toujours l’union sacrée. Au début. Ce n’est qu’après que les désaccords se multiplient, que les paradoxes initiaux deviennent des fossés. Cette guerre en Libye n’en manque pas. Une guerre humanitaire pour éviter un massacre, nous dit-on. On fait du Kouchner sans Kouchner. Pourquoi l’avoir viré ? C’est au contraire à un gaulliste rompu aux subtilités de la realpolitik qu’il appartient de mettre en œuvre la politique de Kouchner et de BHL. On doit d’ailleurs aux réflexes gaullistes de Juppé le refus véhément de la France de couvrir cette opération militaire du seul blanc manteau de l’Otan. Cette obstination gauloise a beaucoup agacé Anglais et Américains. Pourquoi alors être revenus dans l’Alliance intégrée ? Quand on consulte la liste des pays embarqués dans l’aventure, on retrouve la Norvège, le Canada, la Belgique, les Pays-Bas. L’Atlantique, nous voilà ! Si la guerre dure, la main reviendra de toutes les manières à l’Otan, seule structure capable de conduire une opération multinationale.
Juppé a tenu aussi à embarquer les pays arabes. Mais seul le petit Qatar suit et paie. Le patron de la Ligue arabe s’est déjà horrifié des bombardements de populations. Même la Tunisie et l’Égypte n’ont pas bougé. Encore moins l’Arabie Saoudite qui réprime elle-même une révolution à Bahreïn. Sarkozy comme Juppé, comme la droite et la gauche françaises, sont de chauds partisans de l’Europe de la Défense. Une fois de plus aux abonnés absents. À quoi sert lady Ashton ? Il est piquant de constater que si l’Europe de la Défense avait existé, si la défense avait suivi l’exemple de l’agriculture, des négociations commerciales, ou de la monnaie, l’initiative du président Sarkozy, lancée sur le perron de l’Élysée, n’aurait pu avoir lieu. Paradoxe que les européistes occultent en approuvant l’initiative du Président français au nom des valeurs européennes.
Ils en profitent pour dénoncer l’immaturité de l’Allemagne qui n’assume pas ses responsabilités de grande puissance, disent-ils. S’ingérer dans les affaires d’un État souverain est donc la signature d’une grande puissance ? L’Allemagne n’a pourtant pas été la seule à refuser de voter la résolution 1973 : la Russie, la Chine, la Turquie, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud. Aucune grande puissance ? L’intervention militaire franco-anglaise a arrêté les blindés de Kadhafi, qui s’apprêtaient à reconquérir la Cyrénaïque dissidente qui, à l’est du pays, regorge de réserves de pétrole. Un hasard ? La région restée fidèle à Kadhafi, à l’ouest, la Tripolitaine, est, elle, riche en gaz. Comme si se profilait une partition du pays. Sarkozy et Cameron renoueraient ainsi curieusement avec un plan anglo-italien de 1949 que l’ONU avait alors refusé. Au final, on tuera des civils en Tripolitaine pour sauver des civils en Cyrénaïque. Drôle de résumé d’une drôle de guerre.