Lundi 19 décembre 2011

Nicolas Sarkozy

Il a vieilli. Il ne dissimule pas ses cheveux gris. Il a pris de la hauteur, en tout cas de la tenue. Il ne dit plus « Casse-toi, pauvre con ». II ne se laisse plus complaisamment photographier, courant en short et polo à la gloire de la police new-yorkaise. La sueur n’est plus au fronton de la République. Le corps de l’homme Sarkozy s’est enfin effacé derrière le corps du roi. L’adolescent attardé, sentimental et impulsif s’achète une conduite de pater familias. « Il faut soixante ans pour faire un homme », disait Malraux ; il faut cinq ans pour faire un président ! Trop long, trop tard ? La désacralisation moderniste des débuts tumultueux a laissé la place à une présidentialisation scénarisée avec le plus grand soin. Sarkozy l’Américain a recouvré la tunique tricolore.

De Jeanne d’Arc à la maison du général de Gaulle, tout est bon pour réenraciner le Président dans l’histoire millénaire de la France. Communication ou conviction ? Lui qui s’était fait élire Président pour devenir Premier ministre – selon le mot si drôle et si juste de Jean-Louis Borloo –, réduisant l’hôte de Matignon au rang humiliant de « collaborateur », se voyait finalement contraint de ne pas renvoyer Fillon et d’adopter la rigueur réclamée par celui qui s’effrayait depuis le début d’être « à la tête d’un État en faillite ».

Le fond a précédé la forme. Tout se passe comme si le Président de la fin du mandat brûlait ce qu’avait adoré le Sarkozy des débuts. Il était fasciné par l’Angleterre, le modèle anglais dominé par la finance et les dettes ; il finit dans les bras d’Angela Merkel, donnant le modèle allemand en exemple – rigueur budgétaire et ode à la réindustrialisation. Il faisait une politique de la demande ; il prône désormais une politique de l’offre. Effrayé par la réaction violente des électeurs aux législatives de juin 2007, il avait renoncé à une TVA sociale, qu’il décide d’imposer à trois mois de la présidentielle. Il baissait les impôts, il n’hésite plus à les augmenter. Il voulait préserver les intérêts de la place financière parisienne ; il se propose désormais de faire payer une taxe Tobin sur les transactions financières, même si le reste de l’Europe ne le suit pas. Il ouvrait nos frontières à l’immigration choisie et partait à la chasse aux talents du monde entier ; le ministre de l’Intérieur Claude Guéant s’efforce désormais de renvoyer chez eux les étudiants étrangers et de réduire, même modestement, le flot de l’immigration familiale qui ne s’est jamais tari. Il avait annoncé pour l’année 2012 une pause législative ; il se lance avec l’appétit d’un débutant dans un tourbillon de réformes.

On ne sait plus qui parle, du Président jusqu’au bout ou du déjà candidat, de l’homme de la nation ou du challenger du favori socialiste. Sarkozy n’a jamais été un stratège au long cours, plutôt un tacticien émérite. Toujours au bord du gouffre, entre deux extrêmes, « la chance sourit aux audacieux » et la « maladresse des habiles ». Il avait branché la droite française, toujours empreinte de colbertisme gaullien, sur l’idéologie libérale anglo-saxonne qui avait le vent en poupe. Ce fut le temps de l’argent sans fausse honte et de la droite décomplexée. Au mieux, il était Napoléon III dynamisant l’économie du pays dans un tourbillon de fête impériale ; au pire, il était le Guizot du : « Enrichissez-vous. » Le pari s’est révélé présomptueux : la France, y compris ses électeurs, ne lui a toujours pas pardonné. La crise de 2008 a brisé net ses espoirs et ses calculs. La droite sarkoziste s’est retrouvée sans modèle ni boussole idéologique, condamnée à tout sacrifier au culte de l’Europe et du couple franco-allemand, mythes politiques de la génération d’après-guerre qui s’avèrent de plus en plus coûteux.

Sarkozy va vivre son ordalie en 2012 : soit les électeurs rancuniers lui font payer son début de mandat, le fond et la forme, et il subira jusqu’au bout le parallélisme avec Giscard. Soit François Hollande, tétanisé par l’enjeu et les contradictions de la gauche, se désintègre, se balladurise et Sarkozy peut connaître le sort miraculeux d’un Chirac sauvé par l’autodestruction de son adversaire socialiste. Au moment ultime où il donne l’impression de retrouver son hyperactivisme et d’avoir enfin trouvé le bon cap, le destin de Nicolas Sarkozy ne lui appartient déjà plus.

Le Bûcher des vaniteux
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