La fable du Président et du Paysan
Pendant sa campagne de 2007, Nicolas Sarkozy avait sonné à grand renfort de trompette le retour du politique. Le retour du volontarisme, de la valeur « travail », du pouvoir d’achat. Or, et malgré la crise de 2008, il n’a rien pu faire. Les délocalisations industrielles se sont poursuivies comme si de rien n’était ; et les prêts agricoles sont plus que jamais branchés sur les Bourses et les marchés spéculatifs. Jadis, les revenus agricoles étaient indexés sur le climat. Les malédictions divines provoquaient ruine et famine.
Aujourd’hui, les deux nouvelles plaies d’Égypte des paysans ont pour noms grande distribution et spéculation internationale. Le XXe siècle avait pourtant entre-temps connu le progrès du machinisme et, en Europe, la Politique agricole commune (Pac) qui garantissait les prix agricoles en fonction des productions. On faisait payer au contribuable sa sécurité alimentaire. Ou plutôt, et c’était le cœur de l’accord conclu entre de Gaulle et Adenauer dans les années 60, le contribuable allemand subventionnait le paysan français, tandis que le consommateur français achetait les belles voitures allemandes. C’était gagnant-gagnant, comme on ne disait pas alors.
Depuis les années 80, c’est perdant-perdant. Pour sauver ses emplois, le salarié allemand se serre la ceinture et le paysan français a perdu 35 % de son revenu en 2009, après en avoir perdu 20 % en 2008. La profession est celle où on se suicide le plus. Elle est divisée plus que jamais entre riches, très riches et très pauvres. Productivistes et écologistes. Les producteurs de blé échappent à la morosité grâce à l’explosion démographique de la planète. Mais l’excédent commercial de toute la filière agroalimentaire française a quand même été réduit de moitié. Nous sommes concurrencés par le Brésil, la Russie et demain la Chine, qui ont une main-d’œuvre sous-payée. L’Allemagne nous a pris notre place de troisième exportateur mondial. L’agriculture française a été jetée, de gré ou de force, dans la grande bataille de la mondialisation. Contrainte de suivre les règles de l’Organisation mondiale du commerce.
Bruxelles a démantelé consciencieusement les garanties de la Pac. Trop cher, nous a-t-on dit, alors que les 55 milliards d’euros dépensés ne représentent que la moitié des subventions versées par l’État fédéral à l’agriculture américaine. En vérité, comme pour la politique de la concurrence industrielle, Bruxelles a suivi avec obstination ses préceptes libéraux. Et qu’on ne vienne pas nous dire que les États se cachent derrière Bruxelles. L’agriculture est la seule politique authentiquement fédérale de l’Union européenne. L’accord entre Chirac et Schröder en 2005 s’est révélé un magnifique rideau de fumée qui n’a rien empêché. En 2013, on doit tout remettre à plat. Dans une Europe à 27, où chacun tire à hue et à dia, Sarkozy promet au monde paysan le retour de la préférence communautaire, la régulation des marchés, l’harmonisation sociale et environnementale. Bref, le retour de la Pac à la papa. Il est prêt à assumer une crise, dit-il. Mais les paysans ont du mal à le croire.