Jeudi 19 mai 2011
Le haut fonctionnaire français est un produit de luxe
On n’est pas près de revoir un Français à la tête du FMI. Les Américains en ont soupé, et les grands pays émergents d’Asie veulent y installer un de chez eux pour s’occuper un peu plus de leurs problèmes et un peu moins de ceux de l’Europe. Les défenseurs de l’euro s’en lamentent. D’autant plus, se plaignent-ils, que Jean-Claude Trichet quittera, lui aussi, la direction de la Banque centrale européenne. Mais uniquement parce que c’est la fin de son mandat. Encore un Français. On pourrait y ajouter Pascal Lamy, qui accomplit son dernier mandat à la tête de l’Organisation mondiale du commerce.
Les Allemands exportent des machines-outils et des belles voitures ; les Français, des produits de luxe et des hauts fonctionnaires. De là à se dire que le haut fonctionnaire français est un produit de luxe… Au début du XXe siècle, les grands pays émergents de l’époque, Turquie ou Russie, faisaient déjà appel à des Français pour organiser leur administration, quand ils mettaient des Allemands à la tête de leurs armées. La prédominance des Français a sans doute de multiples causes : la qualité de notre système de formation des élites, l’ancienneté de notre État, longtemps révéré comme un dieu tutélaire ; la clarté de pensée et d’expression de la langue française ; notre passion pour la politique ; notre universalisme, issu du catholicisme et des Lumières.
Depuis le siècle dernier et les deux guerres mondiales, s’ajoute, chez les élites françaises, le sentiment de plus en plus répandu que la France n’a plus la taille adéquate dans ce monde de géants, et que toutes les grandes questions – économiques, financières, écologiques, démographiques, sécuritaires – n’ont de solutions que mondiales. Cette conviction des élites françaises, qui se retrouve dans les thèses en faveur d’un gouvernement mondial d’un Jacques Attali, n’a pas d’égale dans les autres pays ; il est le point de jonction idéal entre l’universalisme français et l’internationalisme de la gauche. Pas étonnant que les sociaux-démocrates y soient comme des poissons dans l’eau. Mais nos brillants esprits font semblant de ne pas voir que cet idéal correspond aussi aux intérêts des grandes entreprises globalisées, qui ont imposé la loi du marché, sous la férule discrète mais jamais prise en défaut de la puissance dominante. Le FMI est à Washington, et tout le talent de DSK n’a jamais pu empêcher que les véritables patrons de l’institution qu’il dirigeait sont restés les États-Unis.
L’intérêt général mondial est une utopie. Un mythe. Les égoïsmes nationaux, comme on dit, sont les intérêts des peuples, les seuls soumis à la démocratie. Doit-on se plaindre ou se réjouir du départ des Français ? Un grand diplomate anglais, ancien commissaire européen, a donné un jour la réponse : « Il faut toujours mettre un Français à la tête d’une institution internationale, car c’est le seul à ne pas défendre les intérêts de son pays. » Il faut sans doute nous détester autant que les Anglais et depuis aussi longtemps pour nous connaître aussi bien.