Statues ou icônes ?
La nostalgie est toujours ce qu’elle était : Mitterrand à gauche, Séguin à droite. Les morts sont célébrés, exaltés, fétichisés ; dans les deux camps, on honore le volontarisme politique. Mais les mots n’y ont pas le même sens. La gauche célèbre le seul des siens qui ait réussi à conquérir la magistrature suprême et à la conserver. La droite magnifie le défenseur talentueux de l’héroïsme en politique. La gauche n’oublie pas que Mitterrand fut le dernier candidat socialiste à avoir obtenu une majorité de suffrages parmi les ouvriers. La droite fait semblant de ne pas savoir que Séguin fut le Cassandre de la souveraineté nationale perdue. Chacun recherche ce qui a été abandonné, le peuple pour la gauche, la nation pour la droite.
Les deux hommes avaient échangé leurs habituelles caricatures partisanes. À Mitterrand, l’habileté, le cynisme, le goût sensuel du pouvoir. À Séguin, le génie du verbe, de l’incantation, des grands principes et des grandes maladresses aussi. À l’homme de gauche, la durée du pouvoir. Au gaulliste, l’éphémère passage ministériel. Mitterrand a vaincu parce qu’il a renoncé à tout. Séguin a perdu parce qu’il n’a jamais réussi à se soumettre complètement au nouvel ordre du monde.
Célèbre débat de 1992, le référendum sur Maastricht fut la matrice de la vie politique de ces vingt dernières années. Mitterrand a gagné sur la forme, ayant tétanisé Séguin en petit garçon respectueux. Mais, sur le fond, les arguments de Séguin contre la monnaie unique et la construction européenne résonnent aujourd’hui avec une pertinence brûlante. Que ce soit sur la déshérence démocratique, la fragilité économique ou la régression sociale. Mitterrand a su habiller ses renoncements et ses apostasies des oripeaux de l’idéal européen. Séguin n’a jamais su mettre la lucidité de sa réflexion et le lyrisme de son verbe au service d’une action politique. Il fut l’homme des occasions manquées. Depuis sa mort, la gauche est retournée aux poisons et délices du socialisme municipal auquel Mitterrand l’avait arrachée, gagnant toutes les élections locales mais jamais la présidentielle, faisant semblant de désirer ce qu’elle ne veut pas assumer.
À droite, Nicolas Sarkozy s’est fait brillamment élire, en 2007, en reprenant le discours national républicain de Philippe Séguin dont Henri Guaino avait pieusement conservé le secret. Mais, depuis lors, il s’avère incapable d’assumer cette promesse, comme s’il donnait raison de manière posthume à l’aboulie séguiniste. De son côté, François Fillon tente habilement de profiter de son long compagnonnage avec son ancien mentor d’Épinal pour s’émanciper de la tutelle étouffante de Sarkozy. Mais quand il limite le message de l’ancien président de la Cour des comptes à la défense farouche des équilibres budgétaires, on ne sait trop si on doit en rire ou en pleurer. Séguin, lui, en aurait sans doute ri, de son terrible rire désespéré.