Ce que s’abstenir veut dire
Laurent Fabius devrait se méfier. Sa proposition de rendre le vote obligatoire et de comptabiliser les votes blancs pourrait se retourner contre la gauche en général, et le Parti socialiste en particulier. À chaque fois que l’abstention a dépassé les 50 % ces dernières années – élections européennes, régionales, cantonales –, les élus du PS l’ont emporté. Quand la participation a été beaucoup plus importante – la présidentielle –, le champion de la gauche a mordu la poussière. Les sondages qui portent sur le pavois Dominique Strauss-Kahn sont biaisés de la même façon. 30 % des personnes contactées refusent de répondre aux sondeurs et 20 % refusent de choisir.
DSK comme ses collègues, élus locaux socialistes, est le champion d’un suffrage censitaire puisqu’il est acquis que l’abstention touche massivement les classes les moins aisées de la société. Les incantations d’entre deux tours en faveur du front républicain ne les ont pas ramenées aux urnes. Contrairement à ce qui s’était passé après le 21 avril 2002, le taux d’abstention a été identique au premier et au second tour. Certains se souvenaient peut-être que ceux qui, à l’UMP ou au PS, les appelaient au vote républicain, n’avaient pas eu beaucoup d’égards républicains pour leur suffrage lors de l’adoption à l’Assemblée, par les députés de droite comme de gauche, du traité de Lisbonne qui y niait pourtant formellement le non au référendum de 2005. Une abstention à près de 60 % est un vote. Un vote protestataire. Un vote qui s’ajoute et parfois se substitue à celui pour le Front national.
La montée en puissance du FN dans l’électorat populaire devrait inquiéter l’UMP et surtout le PS. C’est la France active, la France qui se lève tôt, qui s’abstient ou vote FN. Nous sommes revenus, en pire, à la situation qui prévalait à la veille de la présidentielle de 2002. Un Président sortant rejeté, mais pas d’appétence pour la gauche. Au moins, à l’époque, le PS assumait avec Lionel Jospin les responsabilités gouvernementales et l’impopularité qui allait forcément avec. On ne devrait pas s’en étonner. Au PS, tiennent la corde pour la présidentielle : Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn et François Hollande. Les deux premiers furent les principaux ministres de la fameuse dream team de l’époque et le troisième avait reçu du Premier ministre socialiste les rênes de Solferino.
Même retour en arrière à droite. L’ancien candidat de la rupture avec Chirac achève son mandat avec un gouvernement chiraco-villepiniste. À côté du professionnalisme bienvenu de certains, tous ont vite retrouvé les réflexes politiquement corrects qui avaient asséché le second mandat de Chirac. À entendre certains ministres ces jours-ci, on aurait parfois cru que Claude Chirac était revenue à l’Élysée verrouiller la communication de son père. Une abstention à près de 60 % est un vote politique de défiance à l’égard des grands partis de gouvernement. Imposer par la loi le vote obligatoire, c’est refuser de le voir et de l’entendre. Mais c’est peut-être le but de Laurent Fabius.