L’islamisme derrière le Printemps arabe
On nous avait dit Printemps arabe. On nous avait dit aspiration des peuples à la liberté. On nous avait dit fin de l’histoire, démocratie, universalisme. On nous avait dit islamistes ignorés, islamistes humiliés, islamistes ridiculisés, islamistes néantisés. Nos maîtres bien-pensants sont comme les dieux dans les Psaumes : ils ont des yeux et ne voient pas ; des oreilles et ils n’entendent pas. Pendant des années, ces pays ont vécu avec une élite occidentalisée laïque et nationaliste qui imposait par la force un modernisme progressiste hérité de l’Occident à une masse qui voulait continuer à vivre selon ses modèles culturels ancestraux arabo-musulmans et défendre son identité.
On peut comparer cette dichotomie entre les élites et le peuple à la Russie d’avant 1917. D’ailleurs, les islamistes ont agi un peu à la manière des bolcheviks en 1917. La révolution de Février s’était faite sans eux ; ils ont pris le pouvoir en octobre. Les islamistes tunisiens ont l’habileté de ne pas vouloir gouverner seuls, comme les communistes le firent dans les démocraties populaires d’Europe centrale après 1945. La comparaison n’est pas un hasard. L’islam est une sorte de communisme avec Dieu. Un système égalitariste – en tout cas entre hommes musulmans – qui régit, protège, contrôle et surveille la vie quotidienne des populations. En Tunisie, seule une bourgeoisie aisée et cultivée a pu adopter un individualisme occidental, vécu comme destructeur des solidarités communautaires par le reste de la population, qui vit loin des lumières de la côte. Une Tunisie profonde, terriblement appauvrie par la concurrence chinoise, qui a ruiné ses industries textiles, qui alimentaient l’Europe il y a encore quelques années. Depuis la révolution du Jasmin, les islamistes tunisiens ont réveillé leurs formidables réseaux d’entraide sociale, vendant à bas prix produits alimentaires et vêtements.
La victoire électorale des islamistes entraînera une réconciliation entre les dirigeants arabes et leurs peuples. On peut appeler cela démocratie, car c’est la volonté du peuple. Mais la démocratie libérale, c’est aussi la séparation des pouvoirs et la laïcité. Or, en Tunisie comme en Égypte, l’islam est religion d’État et la charia, constitutionnellement reconnue source du droit. Bien sûr, des variantes existent. Les Libyens sont plus pratiquants, plus proches des Saoudiens que les Tunisiens, moins rigoristes. Mais dans tous les pays, l’islam n’est pas qu’une religion, une spiritualité, c’est aussi un mode de vie, un système qui lie le religieux, le judiciaire, le législatif, dans la soumission à Dieu et à la charia. Même en Turquie, que l’on donne comme modèle – pour mieux rassurer les esprits occidentaux qui ne demandent qu’à être rassurés –, une islamisation de la société par le bas grignote lentement mais sûrement les acquis laïcs et les libertés individuelles.
En Égypte, les islamistes devraient eux aussi gagner les prochaines élections. En Libye, le président du CNT, Moustapha Abdeljalil, l’ami de BHL, a déjà annoncé que toute loi contraire à la charia serait abolie, y compris l’interdiction de la polygamie. Bernard-Henri Lévy aura sans doute été ravi d’apprendre qu’il a été l’idiot utile des islamistes.