Requiem pour la Grèce
La question n’est plus de savoir si la Grèce devra quitter la zone euro, mais quand. Les responsables allemands au plus haut niveau l’envisagent publiquement ; alors que c’est impossible juridiquement, puisque le traité européen a prévu une clause de sortie de l’Union européenne, mais pas de l’euro.
Mais foin de juridisme : les traités interdisent aussi à la Banque centrale européenne de financer les États, ce qui n’empêche nullement Jean-Claude Trichet de racheter depuis des mois des centaines de milliards de créances douteuses sur la Grèce et les autres États, que les marchés ne veulent plus financer qu’à des taux exorbitants. C’est le paradoxe Trichet : pour sauver son bébé, l’euro, cet homme achève son mandat en reniant tout ce qu’il a fait depuis vingt ans. Ce parangon de la rigueur, cet obsédé de la lutte contre l’inflation, ce héraut du franc fort, puis de l’euro fort, finit par mener une politique de sauve-qui-peut expansionniste, au risque de créer ces tensions inflationnistes qu’il craint comme le diable. Lui qui se voulait plus germanique que les Allemands doit subir les démissions successives du gouverneur allemand puis, plus grave encore, du chef économiste de la Banque centrale, allemand lui aussi. Cet homme admirable de self-control tance violemment les journalistes ; ce haut fonctionnaire qui fait la morale aux politiques qui n’ont pas respecté les règles de bonne gestion voit lui succéder à la tête de la BCE l’Italien Mario Draghi, qui travaillait naguère chez Goldman Sachs, la banque américaine qui a justement maquillé les comptes grecs pour permettre à ce pays d’entrer dans l’euro.
Mais les Allemands ont compris que le problème de la Grèce n’était pas tant un manque de liquidités que de compétitivité. Ce n’est pas seulement leur État qui ne parvient pas à se réformer, mais aussi leur économie qui étouffe d’avoir la même monnaie que les Allemands. Ces derniers ne veulent pas avoir une nouvelle Allemagne de l’Est sur les rives de la Méditerranée. Avec la Grèce, mais aussi le Portugal et même l’Espagne, qu’ils devraient soutenir jusqu’à la fin des temps. Quand la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a autorisé, la semaine dernière, les transferts vers la Grèce, elle a précisé avec soin que ces aides devaient avoir un caractère temporaire. Berlin en doute de plus en plus. Jusqu’à présent, les dirigeants allemands ont résisté à la tentation de se débarrasser des pays du Club Med, comme ils disent, parce que l’euro leur a permis d’avoir une monnaie sous-évaluée par rapport à la parité qu’aurait eue un mark ressuscité.
L’impossibilité pour les Français et les Italiens de dévaluer leur monnaie a permis à l’Allemagne de laminer la concurrence industrielle de ses voisins et d’accumuler des excédents commerciaux inouïs. Mais le prix à payer commence à être élevé : les Allemands n’ont pas envie de devenir comptables des dettes de tous les pays de la zone euro. Les Allemands ne veulent plus mourir pour Athènes, Madrid, Lisbonne, Rome. Et pas même pour Paris.