La République du centre
C’est le temps des grandes manœuvres et des petites combines. Des mauvais coups et des phrases assassines. Du chacun pour soi, au nom de l’unité. François Bayrou, Jean-Louis Borloo, Hervé Morin, Christine Boutin et même Dominique de Villepin, c’est toujours le trop-plein au centre et chacun doit jouer des coudes pour exister, voire survivre. Bayrou regarde les autres de haut et leur propose de rassembler la famille sous son aile. Il en a la légitimité, du fait de ses 18 % obtenus à la présidentielle de 2007. Mais c’est aussi lui qui, dernier président en titre de l’UDF, a détruit de ses blanches mains la formidable machine politique et parlementaire que Giscard avait édifiée au centre dans les années 70.
Une machine qu’Hervé Morin rêve de reconstruire et dont Jean-Louis Borloo aurait bien besoin pour lancer sa campagne. Mais qui ne reviendra pas. Morin et Borloo veulent la conserver à droite, alliée à l’UMP ; Bayrou ne la veut ni à droite ni à gauche, ou plutôt et à droite et à gauche, garante d’un gouvernement d’union nationale, à l’heure des grands périls que fait peser la dette. Villepin n’est pas loin de cette ligne. Mais ce rêve centriste est justement notre cauchemar depuis au moins deux décennies.
Dans la bataille idéologique qui a opposé naguère RPR et UDF, c’est cette dernière qui a gagné. L’UMP s’est unifiée sur un créneau centriste, européen, décentralisateur et social. De même, à gauche, depuis le virage de 1983, c’est la deuxième gauche rocardienne, issue des chrétiens de gauche de Jacques Delors, qui a imposé sa marque sur la politique suivie par François Mitterrand. À droite comme à gauche, les vaincus, gaullo-chiraquiens d’un côté, mitterrandiens de l’autre, ont conservé pour eux les postes de pouvoir, mais pour mieux appliquer la politique de leurs rivaux. Pour ce faire, ils ont renié leurs convictions et perdu beaucoup de leurs électeurs. La droite gaulliste a abandonné la nation, les socialistes, le peuple.
C’est l’Europe telle que l’ont voulue les centristes qui déraille aujourd’hui. Ils ont toujours été des militants du libre-échange, contre tous ceux qu’ils accusaient de nationalisme. C’est un centriste, Bernard Stasi, qui parlait de l’« immigration, une chance pour la France ». C’est le poids énorme des collectivités locales – ils ont tant plaidé pour les territoires – qui pèse aujourd’hui si lourd sur nos dépenses publiques. C’est un centriste, Pierre Méhaignerie, qui a le premier inventé le RMI ; c’est un autre centriste, Gilles de Robien, qui a le premier introduit les 35 heures. L’émergence à l’UMP de la Droite populaire, et à gauche, de Jean-Luc Mélenchon, ou d’Arnaud Montebourg et sa fameuse démondialisation, sont des révoltes encore bien timides contre la domination sans partage des idées centristes sur la vie politique française.
Les centristes sont bien, depuis vingt ans, les rois de l’époque. Mais ils ne le savent pas. Ils ne le voient pas. Ils jugent qu’ils n’en profitent pas assez. Surtout, ils ne veulent pas que cela se sache. On les comprend.