Mardi 20 septembre 2011

De la faute morale en général, du cas DSK en particulier

Il fallait un mot, une expression. Pour la télé, les reprises, les titres des journaux. On imagine les réunions sans fin, les listes interminables, l’agitation des communicants. Pour une prestation millimétrée – qui avait l’efficacité des grandes contritions publiques que les Américains savent si bien mettre en scène –, il fallait toucher juste. Ce sera une faute morale. Pas une simple faute, qui donnerait l’impression de reconnaître une culpabilité juridique. Pourtant, quelques minutes auparavant, Dominique Strauss-Kahn avait précisé qu’il n’y avait eu « ni violence, ni contrainte, ni agression, ni relation tarifée ». Dans ces conditions, où est la faute morale ?

Ne reste que le bon vieil adultère. Quand on connaît un peu la vie de DSK – et le monde entier en connaît désormais beaucoup –, on ne peut pas imaginer qu’il considère sérieusement – sincèrement – que tromper sa femme constitue une faute morale. L’adultère, les Français en rient depuis toujours. Le théâtre de boulevard, Molière ; même dans les villages au Moyen Âge, on se moquait déjà joyeusement des cocus. On ne peut croire que les communicants de DSK se soient trompés de pays et aient pris les Français pour des Américains. Alors, à qui s’adressaient-ils, si ce n’est aux Français ? Comme souvent avec les communicants, à une opinion imaginaire fabriquée par les médias, les sondages, l’idéologie dominante.

Un air du temps qui marie paradoxalement un néopuritanisme sentimental avec un féminisme radical ; qui confond morale et moralisme ; qui associe automatiquement virilité et violence ; qui exige des hommes politiques des vertus privées comme gages de leurs vertus publiques. Cette tradition est, elle aussi, importée des États-Unis et de ce protestantisme qui ne veut connaître qu’une seule personne, où l’attitude en privé répond du comportement public. Dans les pays de tradition catholique comme le nôtre, on a toujours considéré au contraire que les personnes privées et publiques pouvaient être dissociées. Henri IV était un grand roi et un séducteur priapique. Un malade mental, aurait dit Michel Rocard. Avec son intuition incomparable de l’esprit public, Ségolène Royal l’a tout de suite senti, en exigeant que les hommes publics respectent une morale privée impeccable. Pendant longtemps, en France, on a défendu la thèse exactement inverse : le politique doit manifester une suractivité séductrice pour incarner le véritable homme de pouvoir. Les maîtresses de Louis XIV rajoutent à son prestige de Roi-Soleil ; Bonaparte est un jeune homme timide, tandis que, devenu Napoléon, il s’avère de plus en plus gourmand. Giscard, Mitterrand, Chirac sont magnifiés pour leurs maîtresses innombrables. Ils sont bien des mâles dominants. Ils méritent le pouvoir suprême.

La faute morale de DSK marque peut-être la fin de cette tradition séculaire. Comme si la fin des batailles idéologiques et leur impuissance face à la finance avaient dépouillé les politiques de leurs habits de lumière ; les contraignaient désormais à respecter la morale de monsieur Tout-le-monde. Mieux : comme s’ils étaient désormais obligés de respecter une morale dont monsieur Tout-le-monde s’affranchit allégrement. Comme une punition. Une revanche.

Le Bûcher des vaniteux
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