Jeudi 3 novembre 2011

Que cette mauvaise Grèce disparaisse !

Le peuple grec n’est pas le bienvenu. Il fait tache, il a mauvais genre. Il faut dire qu’il n’a pas les mains blanches. Il s’est gavé de subventions européennes ; a triché sur ses comptes ; a consommé à tout-va, en s’endettant à des taux ridicules grâce à l’euro ; continue de ne pas payer ses impôts ; se révolte quand l’Europe cesse d’être une bonne poire et demande des comptes. Mais – c’est la règle en démocratie – le peuple est le roi. Le souverain peut être immoral, médiocre, inconstant – on en a eu en France –, il reste le souverain. Sinon, c’est tout l’édifice démocratique qui s’effondre.

La violence des réactions hostiles au référendum grec est venue des marchés qui représentent la démocratie censitaire – c’est l’argent qui seul décide – et des chefs d’État européens et aussi de Bruxelles, c’est-à-dire l’oligarchie politico-technocratique qui gouverne l’Europe. Ceux-là n’ont aucune envie de voir les peuples débouler dans leur jeu comme un chien dans un jeu de quilles. Ce n’est pas la première fois qu’ils le font savoir. Quand les Irlandais votèrent non au référendum européen, on les a fait recommencer jusqu’à ce qu’ils votent bien. Quand les Français (et les Hollandais) ont fait de même en 2005, on a ignoré leur décision, soi-disant souveraine, pour faire ratifier ce qu’ils ont refusé par les parlementaires. Nicolas Sarkozy a-t-il raison de s’en vanter ? Le général de Gaulle, lui, a démissionné pour un référendum perdu.

La méfiance des peuples est consubstantielle à la construction européenne. Pour le père de l’Europe, Jean Monnet, les passions nationalistes des peuples étaient les responsables des deux guerres mondiales. Il choisit donc d’instaurer des mécanismes juridiques et technocratiques qui ignorent les peuples, les contournent, les méprisent. Pourtant, la guerre a existé avant l’émergence des États-nations, et elle continuera sans doute tant qu’il y aura des hommes. Mais Mme Merkel, acculée par l’opposition populaire à la monnaie unique, explique que la fin de l’euro signifierait le retour de la guerre en Europe. De même, lorsque Nicolas Sarkozy cède devant les exigences allemandes, il le fait en dernier ressort, au nom de la réconciliation franco-allemande et de la paix.

On pourrait dire aussi que la paix en Europe fut surtout le produit de la domination américaine qui a mis l’Europe sous son protectorat. Mais peu importent les réalités et l’histoire, les dirigeants européens et les élites européistes sont schizophrènes : ils proclament partout leur amour de la démocratie, l’imposent parfois par la guerre, mais l’évitent avec soin pour leur projet historique le plus cher. Lors du référendum sur le traité de Maastricht, en 1992, le chef du non, Philippe Séguin, avait prévenu : la création d’une monnaie unique entraînera celle d’un budget européen et imposera le fédéralisme des États-Unis d’Europe. Or il n’y a de démocratie possible qu’au sein des États-nations, où la minorité accepte sans rechigner d’être vaincue par la majorité. Il faudra donc choisir, avertissait le prophète d’Épinal, entre l’euro et la démocratie. Nous y sommes. Ce n’est peut-être pas un hasard si c’est la Grèce, berceau de la démocratie, qui nous met sous les yeux ce qu’on refuse de voir.

Le Bûcher des vaniteux
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