Vendredi 8 avril 2011
L’espace Schengen à l’épreuve des faits
Schengen se meurt. Schengen est mort. On devrait le dire en italien. L’oraison funèbre paraîtrait plus gaie. Déjà 1 348 Tunisiens ont été arrêtés par la police des Alpes-Maritimes en mars. Renvoyés à Vintimille ou en Tunisie. Dans le strict respect des accords de Schengen, affirment les autorités françaises. Or, sur les 22 000 migrants à qui Berlusconi a accordé le permis de séjour italien, la plupart ne rêvent que de la France. À combien de milliers d’arrestations par la police française les accords de Schengen seront-ils déclarés caducs ?
Vingt-cinq ans, c’est jeune pour mourir. En 1985, la France, l’Allemagne et les trois pays du Benelux avaient pourtant instauré un espace sans frontières dans l’enthousiasme général. Les plus lettrés évoquaient l’Europe de Voltaire ou de Stefan Zweig qui se baladaient sans passeport. Les jeunes gens regardaient disparaître sans nostalgie les guérites des postes frontières et les douaniers aux mines revêches et obtuses. Les pays signataires rassurèrent les inquiets : la disparition des frontières internes devait s’accompagner d’un renforcement de la frontière externe de l’Europe devenue commune à tous. Promesse qui n’est jamais vraiment devenue réalité. Plus l’espace Schengen grossissait, plus ses frontières reculaient, et plus elles devenaient poreuses. L’espace Schengen compte désormais 25 États membres et rassemble 400 millions d’âmes. Mais la forteresse Schengen a des trous si grands qu’elle ressemble à un énorme fromage. Un sacré fromage pour les trafiquants de drogue et de prostituées, les mafieux internationaux, les passeurs de clandestins.
Jamais Bruxelles n’a forgé une police européenne des frontières. Jamais les États européens n’ont bien coordonné leurs actions, en dépit des efforts louables de certains d’entre eux. La tâche était ardue. Au temps du Blocus continental, les gabelous de Napoléon eux-mêmes n’avaient pas réussi à tenir toutes les frontières européennes. Aujourd’hui, chaque État, toujours souverain, collabore. Ou ne collabore pas. Certaines frontières sont réputées être des passoires. La Grèce est l’exemple le plus connu. Depuis le 21 janvier dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a interdit aux autres États de renvoyer en Grèce les clandestins arrivés par la Turquie. La Grèce est donc exemptée de tenir sa part de frontière commune. Une bonne nouvelle pour tous les clandestins venus d’Irak, d’Afghanistan ou du Pakistan qui, passés par la Turquie puis la Thrace, peuvent tranquillement gagner le nord de l’Europe, la France, l’Allemagne, ou la Belgique. Ils ne risquent plus rien.
Le geste de Berlusconi est le second coup porté à Schengen. Un coup sans doute mortel. Les Italiens se plaignent que les autres pays ne soient pas venus à leur secours. Que la Tunisie refuse de reprendre ses migrants. Les Italiens ont ramené la frontière européenne à Menton. Entre les engagements européens de la France et ses déclarations musclées sur l’immigration, Claude Guéant devra choisir.