Le Vert allemand contiendrait des conservateurs
La bagnole est l’avenir des Verts. Qui l’eût cru ? C’est dans le fief industriel de Daimler et de Porsche, ce fameux Land de Bade-Wurtemberg, que les Verts allemands vont pour la première fois prendre le volant. Jusqu’à présent, ils avaient l’habitude, à l’instar de leurs amis français, d’être confinés sur la banquette arrière, souvent sur le siège enfant : indispensables pour donner un peu de fraîcheur juvénile, mais qui devaient se taire dès que les grandes personnes parlaient.
On imagine toujours les Verts en pataugas et pull-over en grosse laine, cheveux longs et fumeurs de pétards. Une caricature qui date en effet de leur jeunesse post-soixante-huitarde, mais qui ne correspond pas vraiment au profil de Winfried Kretschmann, le nouveau président vert du Land qui ressemble davantage à l’ancien ministre des Finances de Giscard dans les années 70, Jean-Pierre Fourcade, symbole du technocrate de l’époque, surnommé « balai-brosse » par les caricaturistes. Même les babyboomers vieillissent. Leur génération est à l’âge où on devient responsable et pontifiant, bref ennuyeux. Notre Kretschmann ne cache pas une foi catholique vibrante et se déclare sans fard conservateur. On est loin, très loin, du mariage homosexuel cher à Noël Mamère et du combat pour les sans-papiers cher à Dominique Voynet. Au-delà des causes conjoncturelles de cette campagne électorale – accident nucléaire japonais ou lutte contre la construction d’une grande gare à Stuttgart –, les Verts allemands n’ont gagné la bataille politique que parce qu’ils ont renoncé à leur anticapitalisme des origines et à leurs combats sociétaux les plus subversifs. Paradoxalement, les Verts allemands reviennent aux sources de l’écologie qui naquit d’abord sur les rives idéologiques d’une droite réactionnaire qui refusait depuis le XIXe les certitudes progressistes et scientistes de la gauche de l’époque.
Les Verts, en France comme en Allemagne, sont les nouveaux bourgeois de l’époque. Ils s’allient aux grands patrons de l’automobile pour inventer le fameux green New Deal qu’attend le capitalisme occidental pour sa survie face à la concurrence des pays émergents. En France, les Verts font encore semblant d’être du côté des rebelles ; en Allemagne, ils acceptent leur réalité de meilleurs défenseurs du système capitaliste mondialisé. Ils ont toutes les qualités pour remplacer, dans ce rôle-là, les sociaux-démocrates, affaiblis par le recul des syndicats et la désagrégation de la classe ouvrière. Les Verts allemands sont en train de réaliser le rêve des Verts français : remplacer les socialistes. Ils accomplissent la mission que leur a assignée ici un Daniel Cohn-Bendit : devenir le grand parti réformiste, libéral de gauche, avec, bien sûr, une forte dose environnementale, que le système capitaliste globalisé attend. Les Français tergiversent encore devant cette apostasie historique qui leur ouvrira les portes du pouvoir. Ils y viendront.