La tentation du gaz de schiste
D’abord, on ne comprend rien. On refait ingénument le lapsus de François Fillon sur le gaz de shit ! Et puis, on creuse. La question, pas le sol. La géologie, en 4e, nous rebutait déjà. Mais le gaz de schiste, c’est sérieux. Déjà 20 % des dépenses énergétiques des États-Unis. En France, selon certains experts, les réserves pourraient fournir au moins dix ans de notre consommation de gaz. On se libérerait de la dépendance de nos fournisseurs algériens et russes. On rejouerait le bon coup des années 60 avec le gaz de Lacq. En France, on n’a pas d’idées, mais on a du gaz.
Emprisonné depuis des millénaires dans les roches sous le sol, repéré par les scientifiques depuis des décennies ; mais trop cher tant que le pétrole était abondant et bon marché. Avec un baril à 100 dollars, la prospection devient rentable. Les Américains ont sauté sur l’occasion. Comme le savent tous les lecteurs de Lucky Lucke, le propriétaire du sol est là-bas aussi celui du sous-sol. L’initiative privée est reine. La liberté. Et le n’importe quoi. De multiples compagnies se sont jetées sur cette nouvelle manne. Chacun y est allé de son pompage, quitte à piquer le gaz du voisin. D’où cette image d’un film américain montrant du gaz sortant d’un robinet de cuisine.
Pour sortir le gaz de sa prison naturelle, on fracture la roche puis on injecte de l’eau. Beaucoup d’eau. Beaucoup trop. Et des détergents. Par centaines. On devine la suite : pollution des nappes phréatiques, hurlements légitimes des écologistes. En France, Total a eu la bonne idée de commencer ses prospections à quelques encablures de la maison de José Bové. Tous les Français s’identifient à Bové, même les propriétaires des champs sous lesquels on pourrait trouver le miraculeux gaz. En France, depuis le code Napoléon, les fruits du sous-sol reviennent à l’État. Et rien pour le propriétaire.
La guerre éclair des écolos fut efficace. Le gouvernement a capitulé en rase campagne. Fillon a annulé toutes les autorisations de prospection signées par l’ancien ministre de l’Environnement, Jean-Louis Borloo, hypothétique candidat à la présidentielle. Un hasard sans doute. À l’époque, sa secrétaire d’État s’appelait Nathalie Kosciusko-Morizet, qui l’a depuis remplacé. À droite, comme à gauche, on fourbit déjà des propositions de lois qui interdisent toute recherche sur les gaz de schiste. La France rejoue l’affaire des OGM. Le principe de précaution tourne au refus de la science. Le rapport de l’inspection a essayé de ménager la chèvre de la précaution et le chou de la recherche. Mais les écologistes ont gagné la bataille idéologique. C’est l’idée même du progrès qui est rejetée, la science ostracisée. On ne se dit pas qu’elle peut encore améliorer ses méthodes, trouver un moyen ingénieux de pomper sans polluer. On préfère lui couper les ailes avant même qu’elle ne prenne son envol.
La France fut jadis ce pays de la raison qui adulait Pasteur et Marie Curie, et avait inventé la montgolfière, l’avion et l’automobile. C’était il y a longtemps.