Lundi 5 décembre 2011

La martingale syndicale

On savait sans savoir. On devinait sans connaître. On murmurait sans oser l’avouer. Nicolas Perruchot a mis des mots sur des silences et des chiffres sur des secrets bien gardés. Des gros chiffres. Des milliards d’euros qui volent et disparaissent dans les sables mouvants du syndicalisme subventionné.

La paix sociale n’a pas de prix. On comprend mieux désormais cette impression de jeu de rôles bien réglé que nous donne régulièrement le dialogue social. Dans cet océan de subventions, les cotisations des adhérents ne sont que quelques gouttes d’eau. Les syndicats pourraient s’en passer. Et d’ailleurs, les salariés l’ont compris, qui n’adhèrent plus. La France est le pays au taux de syndicalisation de 8 % le plus faible d’Europe. Les syndicats français sont une coquille vide à la représentativité factice, vivant de subventions et de rentes de situation politiques et médiatiques.

Cette énorme machinerie est née en 1945. Après guerre, le général de Gaulle voulait avant tout éviter la guerre civile qui menaçait avec les communistes sortis de la Résistance armés jusqu’aux dents et dotés d’un appareil stalinien, premier parti de France. Il leur donna des ministères et confia la gestion de la sécurité sociale et des comités d’entreprise de grosses entreprises publiques à sa courroie de transmission syndicale, la CGT. Il leur accorda ces bastions ouvriers imprenables, un peu à la manière d’Henri IV donnant des places fortes aux protestants pour arrêter les guerres de Religion. Le but était de faire émerger une élite ouvrière, sur le modèle des régimes communistes, mais sans la dictature stalinienne. La France devint, selon la boutade de l’époque, le seul pays communiste ayant réussi.

Dans les années 60, la répartition de la croissance s’effectuait avec une rare efficacité. La CGT ne signait aucun accord, mais était à la pointe des mouvements de grèves. Les ouvriers s’embourgeoisaient. La classe moyenne grossissait. Cette époque est révolue. La mondialisation, les délocalisations, la désindustrialisation, ont ravagé la puissance syndicale. La France n’est plus à la hauteur de sa réputation passée : le nombre de jours de grève ne cesse de diminuer depuis une décennie. Les syndicats font de l’agitation ponctuelle et médiatique. La CGT signe plus de 80 % des accords sociaux. Les mots d’ordre de grève oublient désormais toujours l’adjectif « illimité ». On comprend mieux que Bernard Thibault soit la coqueluche de l’Élysée. Que les députés UMP, dont Christian Jacob, ancien syndicaliste agricole lui-même, aient refusé de voter ce rapport explosif de Nicolas Perruchot. Des centaines de pages qui encombrent le coffre de la voiture du député du Nouveau Centre.

Mais en ces temps de rigueur, ce système est à bout de souffle. Comment justifier les 20 000 fonctionnaires mis à la disposition des syndicats ? Comment expliquer que notre système de formation professionnelle coûte 27 milliards d’euros par an pour un résultat aussi médiocre ? Mais, politiques et syndicalistes, droite et gauche, tous effrayés, poussent le cri de la comtesse du Barry, sur l’échafaud : « S’il vous plaît, encore une minute, monsieur le bourreau ! »

Le Bûcher des vaniteux
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