Quand les marchés installent des gouvernements de techniciens
On les appelle des gouvernements de techniciens. Depuis leur nomination, on les a vus aussitôt au travail, toujours affairés, austères. Loin des démagogies électoralistes et des habiletés politiciennes. Du sérieux. C’est ainsi qu’ils aiment à se voir et c’est ainsi qu’on les vend. En France, on connaît et on aime les gouvernements de techniciens. Pompidou, Barre, Villepin furent des technocrates sortis de leur anonymat de hauts fonctionnaires et propulsés à Matignon par le seul fait du prince. Sauf que le prince, qu’il s’appelle de Gaulle, Giscard ou Chirac, était élu au suffrage universel.
Les peuples, italien ou grec, ne sont pour rien dans la désignation de Loukas Papademos ou de Mario Monti. Comme ils n’avaient été pour rien dans le renvoi de Papandréou et de Silvio Berlusconi. Ceux-ci avaient cessé de plaire. Ceux-là ont tout pour plaire. Leur carrière plaide pour eux. Nous révèle aussi comment et pourquoi ils sont là. Les deux hommes n’ont pas seulement pour point commun d’avoir travaillé pour la désormais célèbre banque américaine Goldman Sachs. Comme Mario Draghi, le nouveau gouverneur de la Banque centrale européenne. Magnifique tir groupé, presque trop beau, trop visible, trop ostentatoire pour une banque qui est censée œuvrer dans l’ombre.
Mais le Grec comme l’Italien sont aussi passés par la case européenne. Loukas Papademos a été le bras droit de Jean-Claude Trichet à la tête de la Banque centrale. Il fut l’un des artisans de l’entrée de la Grèce dans l’euro. Obtenue par les comptes truqués mis au point par Goldman Sachs. Mario Monti est mieux connu des Français, puisqu’il fut un célèbre et redouté commissaire européen à la Concurrence. C’est lui qui empêcha Pechiney de grossir, mais ne bougea pas lorsque ce fleuron de l’industrie française fut avalé par un canadien, puis démantelé. Il s’apprêtait à faire de même avec Alsthom, mais Sarkozy l’en empêcha. Si on l’avait écouté, Renault et Air France n’existeraient plus. Mario Monti est typique de l’idéologie libérale de Bruxelles, qui estime que tout peut être réglé par le droit. La désindustrialisation de l’Europe n’est pas son souci, tant que la concurrence est libre et non faussée.
Les marchés et l’Europe ont donc adoubé nos deux gouvernements de techniciens. Ils sont market friendly, comme on dit drôlement aujourd’hui. Sous Louis-Philippe, une petite minorité aisée avait seule le droit de voter. C’était le suffrage censitaire. Nous y sommes revenus. C’est ce qu’un politique italien a appelé le parti du spread, du nom de l’écart de plus en plus grand entre les taux d’intérêts demandés à l’Allemagne rigoureuse et ceux payés par les autres pays qui inspirent moins confiance. Les politiques européens n’ont que ce qu’ils méritent. Ils ont avalisé la liberté totale des capitaux qui donnent une force irrésistible aux injonctions des marchés. Ils ont excessivement endetté leurs pays pour maintenir un modèle social que ne finançait plus une croissance anémiée. Ils se sont mis dans les mains de leurs créanciers, qui les renvoient comme des domestiques. Et nous avec.