Le PS et le FN, comme un boomerang
C’est l’affaire de la droite, le monstre sorti de la droite. La question morale posée à la droite. Les alliances interdites à la droite. Longtemps, la gauche a joué sur du velours dès qu’il s’agissait du Front national. Entre moralisme et cynisme électoral, on se souvient de cette phrase de Pierre Bérégovoy après la triomphale réélection de François Mitterrand en 1988 : « Le Front national est la chance historique de la gauche. » Diviser l’adversaire et diaboliser une partie de ses électeurs, c’était magnifique.
Avec le front républicain, la gauche ressuscitait les temps glorieux de la IIIe République, lorsqu’il s’agissait de défendre la république menacée par les monarchistes, les bonapartistes ou ceux qu’elle a vite appelés par réflexe les fascistes. La droite était sommée de choisir entre la République et le fascisme. On a connu des choix moins manichéens. Quand Valérie Pécresse dit aujourd’hui que le PS, ce ne sont pas ses idées, mais que le Front national, ce ne sont pas ses valeurs, elle montre qu’elle a parfaitement intériorisé le discours de la gauche. En 1986, les programmes sur l’immigration du RPR et du FN étaient pourtant frères jumeaux. C’est ce que rappelait encore Alain Peyrefitte, très proche du général de Gaulle, à la tribune du mouvement gaulliste en 1997, après la fameuse défaite aux législatives.
Mais le jouet Front national s’est cassé pour la gauche, en trois temps. D’abord en 2002, quand Jospin est arrivé troisième, l’arme du front républicain s’est retournée en faveur de la droite. La gauche a dû voter pour Jacques Chirac. Ensuite, on s’est aperçu que les ouvriers avaient voté massivement pour Le Pen. Le FN devenait le premier parti ouvrier de France. La lutte des classes tournait cul par-dessus tête. Le troisième temps, c’est aujourd’hui. Celui de Marine Le Pen, qui a transformé le programme du parti en une dénonciation acerbe de la mondialisation libérale. Oubliés les accents reaganiens de son père : elle est revenue à l’État colbertiste et protecteur. Elle exalte la République, la laïcité, elle a même refusé la réforme des retraites et écrit aux fonctionnaires. Son seul rival, finalement, est Jean-Luc Mélenchon, mais lui se refuse à parler d’immigration. Le modèle de Mélenchon, Georges Marchais, n’hésitait pourtant pas à réclamer, en 1980, l’arrêt de toute immigration. Ouvriers, chômeurs, employés et même petite classe moyenne prolétarisée : le FN ratisse large.
Le PS est supplanté dans ce qu’il a de plus cher, sa capacité historique à être le porte-parole de ceux qui expriment une souffrance sociale. Le résultat le plus symbolique de ces cantonales se trouve dans le fief de Martine Aubry avec trois duels entre le PS et le FN sur les quatre cantons renouvelables. Pourtant, contrairement aux socialistes qui ont souvent des élus locaux de qualité, rompus, de plus, aux pratiques clientélistes, les candidats du FN sont souvent inconnus. L’appareil du Front national ne s’est jamais remis de la scission mégrétiste d’il y a plus de dix ans. C’est donc un vote purement politique. C’en est d’autant plus inquiétant pour la gauche. La chance historique est en train de se transformer en catastrophe historique.