Mardi 17 mai 2011

La face cachée de DSK

Il a des poches énormes sous les yeux. Les caméras s’attardent complaisamment sur elles, comme si elles symbolisaient ses crimes, ses péchés. Il sort du commissariat, menotté comme un vulgaire trafiquant de drogue, le regard sombre, absent. Au tribunal, dans une veste froissée, col ouvert, négligé, il tourne un regard morne vers son avocat qui plaide sans discontinuer. En vain. Une fois ou deux, sa barbe de deux jours s’éclaire d’un triste sourire. La juge américaine a la voix coupante et le visage en lame de couteau. On est sans cesse ballotté entre Les Experts et Desperate Housewives.

Depuis deux jours, ces images féroces, implacables, en effacent d’autres. Celles du brillant ministre de Lionel Jospin, de l’inventeur désinvolte des 35 heures, du directeur général affairé du FMI, négociant avec le Chinois et l’Indien, avec Obama et Merkel. Du cosmopolite polyglotte, qui vient convaincre les députés allemands de la nécessité du prêt à la Grèce dans la langue de Goethe. Tellement français en même temps, jusqu’au dédain qu’affichent désormais les élites françaises pour ce pays, comme ils disent. Brillant jusqu’à l’arrogance. Séducteur jusqu’à l’obsession. C’est Dr Jekill et Mr Hyde. Dr Strauss et Mr Kahn.

Deux personnalités, deux cerveaux, deux vies. Comme indépendantes l’une de l’autre. Mieux : deux personnes en une qui s’affrontent dans un combat à mort, jusqu’à ce que la plus ancienne, celle du cerveau archaïque, celle des pulsions primaires, l’emporte par KO. Depuis un siècle, la psychanalyse nous a habitués à cette dichotomie qui scandalisait nos ancêtres. Et pourtant, quand on la prend en pleine figure, le scandale demeure intact. On ne s’y fait pas, on ne s’y résout pas. On se dit : un gars si intelligent, aux portes de l’Élysée. Quand même.

Pourtant, DSK n’est ni le premier ni le seul. Les Mémoires de l’ancien patron du FBI, le sulfureux Edgar Hoover, nous ont appris qu’il y avait un service spécial et secret à la Maison Blanche pour gérer les pulsions quotidiennes du président Kennedy. Qui rameutait les filles, réglait le ballet des portes dérobées quand Jackie Kennedy débarquait, étouffait les scandales, payait les récalcitrantes. En France, aussi, on a eu un président de la République mort dans les bras d’une créature, qui avait voulu « être César et était mort Pompée ». Et un roi à qui un réseau de rabatteurs amenait des filles dans son parc aux cerfs. Gaudriole, plaident les Français. Viol, rappellent les Américains.

DSK a un choix cornélien devant lui. S’il continue à plaider non coupable devant la justice américaine, il risque jusqu’à soixante-dix ans de prison. Et les États-Unis ne sont pas la France, le royaume des remises de peine. Mais ainsi, il sauve ce qui peut encore l’être de son avenir en France. Ou il refuse de passer le reste de sa vie en prison, et plaide coupable pour réduire sa peine, paye une énorme indemnité à la victime. Pour en finir. Mais il tire un trait sur sa carrière nationale et internationale. Dr Strauss et Mr Kahn ne peuvent pas, ne peuvent plus être réconciliés.

Le Bûcher des vaniteux
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