La Hongrie en conflit avec l’Europe qu’elle préside
Le hasard fait bien les choses. Le conflit entre la Commission et la Hongrie tombe juste au moment où ce pays préside pour la première fois l’Union européenne. Comme si les autorités bruxelloises voulaient signifier ce que les spécialistes n’ignorent point : la présidence de l’Union est purement honorifique. Le président de l’Union ne préside rien du tout. Il organise, arrange au mieux. Le reste est pure communication. Les eurocrates et les journalistes accrédités à Bruxelles ne tarissent pas d’éloges sur la présidence belge qui vient de s’achever, et pour cause : comme il n’y a plus de gouvernement belge depuis des mois à cause de la querelle linguistique, ce pays ne risquait pas de prendre des initiatives nationales intempestives aux yeux de Bruxelles.
Nicolas Sarkozy ne manque jamais de le rappeler. Les chefs d’État et de gouvernement ont des comptes à rendre à leur peuple. Les hauts fonctionnaires nommés à Bruxelles ou à Francfort ne connaissent pas les affres de l’élection. Ils n’ont pas la légitimité démocratique. Ils se parent des vertus de l’intérêt général européen en dénigrant les égoïsmes nationaux, mais ces égoïsmes nationaux sont sanctifiés par le suffrage universel qui est la base de nos régimes démocratiques.
Cette querelle est aussi vieille que l’Europe, mais elle a pris une nouvelle ampleur depuis le milieu des années 80 et l’adoption de l’Acte unique européen. L’idéologie libérale du moins d’État en vogue dans le monde entier est devenue le dogme bruxellois qui a fait reculer la politique au profit d’une régulation par le droit et le marché. Ce dogme libéral a explosé au soir de la crise de 2008. Les États ont semblé reprendre la main. Manuel Barroso restait toujours à trois pas derrière Nicolas Sarkozy qui présidait alors l’Union.
Et puis, les mois ont passé. Bruxelles a repris du poil de la bête au nom des grands principes et des grands sentiments. La Commission a tancé Paris pour sa politique d’expulsion des Roms. Les Français ont fulminé, ont sorti l’étendard mité de leur souveraineté nationale, mais ont cédé. Ils ont modifié la circulaire sur les Roms, qui sont revenus. Les partisans des principes et du droit européens ont triomphé. Mais les États ont montré une fois encore au peuple leur incapacité à protéger leurs citoyens. En des temps lointains où le marxisme était une idéologie en vogue, on n’ignorait point que le droit n’était souvent que le reflet des rapports de force d’un moment historique. Dans cette affaire hongroise, on remarquera seulement que la Commission ne s’émeut que lentement et sous la forte pression des Allemands qui défendent avec une vigueur inusitée les libertés de la presse hongroise. Or le gouvernement de Budapest a par ailleurs instauré, pour renflouer le Trésor hongrois aux abois, une taxe de crise qui frappe lourdement les investisseurs étrangers où les grands groupes allemands sont très largement majoritaires. Mais ceci n’est sans aucun doute qu’une regrettable coïncidence.