Londres, les raisons de la colère
Cent, trois cent ou cinq cent mille manifestants, peu importe. On connaît nous aussi ces querelles de chiffres ridicules. Les quais de la Tamise à Londres n’avaient pas vu pareille foule depuis la guerre en Irak et surtout depuis les mouvements contre Margaret Thatcher, il y a trente ans ! Il a fallu attendre près d’un an pour que les Britanniques protestent contre le plan de rigueur décidé par le Premier ministre conservateur James Cameron. Comme s’ils voulaient être sûrs des dégâts causés – hausses d’impôts et baisses d’allocations sociales. Comme s’ils voulaient être fidèles à leur légendaire réputation de pragmatisme.
À l’autre extrémité de l’Europe, le Portugal n’a plus de gouvernement. Le Premier ministre socialiste José Socrates a refusé l’aide de l’Europe et le plan de rigueur qui allait avec. « Parce que je sais ce que cela a signifié pour l’Irlande et la Grèce, et que je ne souhaite pas la même chose pour mon pays. » Partout, en Europe, ça grogne, ça rogne, parfois même ça cogne. Les Portugais refusent d’avaler une purge préparée par les docteurs de l’euro ; mais les Anglais n’ont pas l’euro ; et ils ont la purge quand même.
Toute l’Europe est mise à la diète. Pour de bonnes et de moins bonnes raisons. Les Anglais paient leurs folies passées, quand ils misaient tout sur la City qui jonglait avec les fortunes de ses golden boys, tandis que le reste de la population s’endettait massivement pour maintenir vaille que vaille son pouvoir d’achat. Ce système faisait alors l’admiration avouée de la droite française et la fascination secrète de la gauche française. Mais la finance a explosé et le modèle anglais avec. Il faut désormais rembourser des montagnes de dettes. Pour le Portugal, comme pour les autres pays de la zone euro, c’est une autre histoire : leur économie n’a pas la compétitivité de celle de l’Allemagne, mais ils ont la monnaie de l’Allemagne. Les marchés ont fini par s’en rendre compte. Les Anglais n’ont pas ce problème. Ils ont dévalué leur livre sterling de 30 %. Très utile pour relancer leur compétitivité. Mais leur reste-t-il une industrie pour profiter de cet appel d’air salutaire ?
L’Europe paie une échéance qu’elle a réussi à reculer depuis des années. Lancés dans le grand bain de la mondialisation, nos pays sont en concurrence avec des pays beaucoup plus pauvres, qui tirent vers le bas les salaires des pays riches. Pendant des années, ce système a tenu grâce à l’endettement – endettement privé chez les uns, endettement de l’État en France. Seule la finance, qui prêtait à tous, en a profité grassement. Aujourd’hui, nous réglons les comptes. L’Europe exécute dans l’urgence et la douleur ce que seule l’Allemagne avait réalisé à froid, il y a dix ans : une baisse du pouvoir d’achat pour tenter de sauver sa compétitivité. Le risque est que toute l’Europe devienne une vaste zone de déflation, où la consommation recule, et où la croissance ne parvient pas à repartir. Un contexte qui sera au cœur de la présidentielle française.