Lundi 3 janvier 2011

Indignez-vous, qu’on vous dit

Ce fut du dernier chic pour les fêtes. Pousser son petit cri d’indignation avant de faire un sort au foie gras. S’indigner de quoi ? De tout. Du monde tel qu’il va ou plutôt tel qu’il ne va pas. C’est papy Hessel qui vous le dit. Vous pouvez vous indigner en confiance. Ce ne sont pas les méchants qui manquent : les banquiers, les financiers, les riches. Tous des méchants qui ont fabriqué le fascisme et le nazisme. Papy Hessel a seulement oublié la tirade sur les 200 familles comme au bon vieux temps de la propagande stalinienne. Indignez-vous, qu’on vous dit, contre les méchants Israéliens qui martyrisent les gentils Palestiniens. Contre les méchants policiers et les très méchants ministres de l’Intérieur qui osent arrêter les gentils sans-papiers venus du monde entier travailler pour un salaire de misère dans les cuisines des bons restaurants parisiens où se retrouvent les amis indignés de papy Hessel.

Indignez-vous, qu’on vous dit. À bas les patries, à bas les frontières. Mais indignez-vous aussi contre la mondialisation. N’ayez pas peur des contradictions. Allez-y carrément et balayez les derniers restes de rationalisation de votre esprit trop cartésien. Réclamez avec papy Hessel le grand retour du programme du Conseil national de la Résistance de 1944. Avec sécurité sociale et nationalisations, dans un pays qui avait encore intactes la souveraineté de son État et la maîtrise de ses frontières. Avant l’Europe donc. Mais, comme papy Hessel, indignez-vous contre l’égoïsme des nations, car l’Europe, c’est la paix. D’ailleurs, il est à moitié allemand, papy Hessel. À moitié français aussi. À moitié juif et à moitié protestant. Et Palestinien d’honneur, et sioniste de toujours.

Jadis, l’indignation était le réflexe favori de la bonne bourgeoisie conservatrice qui s’offusquait des provocations artistiques ou sexuelles des avant-gardes progressistes. Les parents de papy Hessel en furent, eux qui servirent de modèles pour le fameux film de François Truffaut Jules et Jim. Mais un siècle plus tard, cette bourgeoisie de gauche a le pouvoir et l’argent. Elle défend en vérité l’ordre du monde tel qu’il est. Conservatisme qu’elle habille des oripeaux d’une fallacieuse contestation, d’une indignation de pacotille. Jadis, c’était la droite réactionnaire qui portait ces valeurs en bandoulière : la religion ou le roi. Tandis que la gauche parlait d’usine, d’ouvriers, de rapports de force entre les puissances impérialistes. Bref, de la réalité. Désormais, c’est la gauche qui fait la morale. Alors, à défaut de changer le monde, de comprendre même cette réalité, cette gauche préfère la nier, l’étouffer sous les bons sentiments, comme dans les chansons sirupeuses de Raphaël ou de Cali, les péroraisons comiques de Stéphane Guillon. C’est « Oui-Oui fait de la résistance ». Et papy Hessel couvre ce brouet moralisateur de son aura d’ancien résistant, au temps des vraies guerres et des vrais massacres. De Gaulle avait raison, la vieillesse est un naufrage.

Le Bûcher des vaniteux
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