De la difficulté d’être un ami en politique
Les amis de Sarkozy devraient fonder une association des victimes du sarkozisme. Ils pourraient parader sur les plateaux de télévision, se plaignant de leur illustre ami. Ils pourraient même l’attaquer en justice pour discrimination. On se souvient de la colère explosive de Christian Estrosi, furieux d’avoir été viré du gouvernement. Et de la colère à peine apaisée désormais de Frédéric Lefebvre, de Thierry Mariani, trop longtemps tenus à l’écart du gouvernement. Tous avaient l’impression d’être pestiférés à cause de leur vieille amitié avec le président de la République. Tous souscrivaient à la si drôle réflexion de Patrick Devedjian, énoncée dès les premières heures du quinquennat : « Je suis pour l’ouverture la plus large, jusqu’aux sarkozistes. » Tous ont eu successivement l’impression qu’il n’y avait de bon bec qu’à gauche puis, quand la mode de l’ouverture fut passée, que les plus intelligents et les plus compétents se situaient dans le camp des anciens ennemis chiraquiens. Ou pire encore, qu’il fallait être l’un des rares proches de Dominique de Villepin pour avoir du prix et mériter d’office un maroquin ministériel. Tous avaient la déplaisante impression d’être dédaignés, mésestimés, méprisés.
Quand Sarkozy avait lui-même été rejeté aux oubliettes par le pouvoir, il reprochait au président Chirac sa vindicte rancunière qui oubliait la vieille loi pacificatrice de la monarchie française : le roi de France oublie les offenses faites au duc d’Orléans. Aujourd’hui, les amis de Sarkozy ont parfois l’impression que le Président a retourné l’antique formule : le roi de France oublie les amis du duc d’Orléans. Le pire est que personne dans l’opinion ne lui sait gré de cette ingratitude royale. Sarkozy a toujours pris soin de ne pas être accusé, à l’instar d’un Chirac par Mitterrand jadis, de réflexe de clan, de bande. Mais quand il nomme des ministres de gauche, les socialistes dénoncent un « débauchage » ; quand il se réconcilie avec ses anciens rivaux chiraquiens, les centristes l’accusent de reconstituer l’État RPR.
Il est vrai que Nicolas Sarkozy est moins désinvolte à l’égard de ses amis de la sphère économique. Il s’est montré très attentif depuis trois ans à installer ses proches à la tête des grandes entreprises. On devine où se situe, à ses yeux, la réalité du pouvoir. Mais Brice Hortefeux ne fera pas d’esclandre. Il ne se plaindra pas de son « ami de trente ans ». En tout cas, pas en public. Il saura cacher son amertume. Après tout, il comprend fort bien que cette épée de Damoclès judiciaire, toujours au-dessus de sa tête, aurait pu finir par gêner son ami Président. Il songera qu’à l’origine de ses malheurs il y a le renvoi, sans ménagement, de Michèle Alliot-Marie qui, elle, n’est vraiment pas une amie de Nicolas Sarkozy. Bien au contraire. Comme quoi, il ne suffit pas d’exaspérer le Président, et depuis des années, pour rester à son poste. On se console comme on peut.