Un nom en héritage
Longtemps Marine Le Pen fut « la fille de ». Elle est devenue l’héritière. Longtemps son inculture historique ou littéraire a été brocardée, surtout au sein du Front national, et suscitait des comparaisons désobligeantes avec son père. Désormais, ce handicap est l’un de ses principaux atouts. L’avènement de Marine et sa naissance tardive signent la clôture définitive, enfin, de l’après-guerre dans la vie politique française. Finies, les références à la Seconde Guerre mondiale, au génocide des juifs, au nazisme, à la guerre d’Algérie. Tout cela est enfin rendu aux historiens. Marine Le Pen est née en 1968. Pas étonnant qu’elle ait d’abord plu aux médias en adoptant l’héritage sociétal de 68 sur le divorce, l’avortement. Le paradoxe est qu’elle se soit définitivement imposée en dynamitant un des purs produits de cet héritage libertaire, lorsqu’elle dénonça avec une rare efficacité les vagabondages sexuels de Frédéric Mitterrand. Autre paradoxe : c’est avec une critique serrée de la mondialisation libérale, que ne renierait pas la gauche de la gauche, qu’elle s’est enracinée dans le nord de la France. On est loin de la tentation reaganienne de son père au début des années 80. Depuis lors, du temps déjà de Jean-Marie Le Pen, les effets de la mondialisation – qui détruit les emplois des ouvriers mais essore aussi les indépendants, commerçants, petits patrons – ont rassemblé dans le même camp des victimes deux électorats jadis adversaires de classe.
Mais la critique de gauche de la mondialisation libérale s’arrête toujours au tabou de l’immigration. Alors que celle-ci en est l’un des traits essentiels. C’est pour cette raison majeure que les grands leaders souverainistes, de Philippe Séguin à Jean-Pierre Chevènement, n’ont jamais réussi à avoir l’oreille de l’électorat populaire au-delà des référendums européens. C’est que toucher à ce tabou provoque l’immédiate diabolisation par les médias.
Marine Le Pen elle-même parle moins d’immigration que son père, et plus d’islam. Là aussi, elle reprend l’ancien discours de la gauche, abandonné par cette dernière, qui avait édifié le logiciel républicain autour d’une laïcité rigoureuse, d’une assimilation exigeante des étrangers, de la lutte contre les féodalités de l’argent et même contre ces délinquants qui pourrissent la vie des pauvres. Karl Marx parlait de Lumpenproletariat et Engels dénonçait la racaille. Dans toute l’Europe, ces sujets sont brûlants. En Suisse, aux Pays-Bas, en Italie, dans les pays scandinaves, des partis dits « populistes » font un tabac, bousculent les vieux clivages et entrent dans des coalitions gouvernementales. Alors, Marine Le Pen bientôt ministre ? On n’en est pas là. Elle-même récuse toute alliance avec une UMP restée fidèle aux dogmes européens. Jean-François Copé refuse, lui aussi, tout accord. Mais au sein de l’UMP, la Droite populaire a renoué avec le vieux slogan « Pas d’ennemi à droite » ; la présidentielle de 2012 décidera donc d’une éventuelle recomposition des droites et du destin de Marine Le Pen.