Du Zambèze à la Corrèze
Bernadette Chirac n’avait jamais été à pareille fête. Autour d’elle, Nicolas Sarkozy et François Hollande faisaient assaut de séduction. Chacun des deux enjôleurs vantait son mari que l’un et l’autre avaient combattu férocement quand il était à l’Élysée. Mais Bernadette et même Jacques Chirac n’étaient pas les véritables objets de la passion de Hollande et Sarkozy. Ils brûlaient d’amour pour la Corrèze. La Corrèze, symbole de la France profonde, de la France éternelle. La Corrèze, brevet de terroir et d’authenticité. La Corrèze qui, elle, ne ment pas. La Corrèze, une terre et des morts.
« La Corrèze, fabrique de présidents », a dit Hollande sous l’approbation de Sarkozy. C’est une règle, que l’on a longtemps crue d’airain, sous la Ve République. Chaque président devait posséder sous ses pieds son terroir d’origine. Pompidou et Giscard avaient l’Auvergne, Mitterrand la Charente, Chirac la Corrèze. Pour incarner la France, un candidat devait offrir la figure, devenue à la fois commune et légende littéraire au XIXe siècle, du petit provincial humilié, sensible, mûr pour l’ambition, qui connaîtra dans la capitale son éducation sentimentale et y enterrera ses illusions perdues.
Sarkozy a retourné l’antique malédiction. L’élu de Neuilly, qui ne connaît rien aux provinces françaises, s’était présenté en 2007 comme un Français de sang mêlé. La trouvaille d’Henri Guaino avait touché juste dans un pays dont l’immigration et l’urbanisation depuis plus d’un siècle ont bouleversé la démographie et le rapport aux origines et à la terre. Alors, Ségolène Royal, fille d’officier à l’ancienne, affichait ses quartiers de terroir. Les socialistes dénonçaient « Sarko l’Américain ». Le Pen brocardait « le Hongrois ».
Mais pour 2012, Sarkozy a trouvé plus cosmopolite, plus américain, plus proche des élites mondialisées que lui : Dominique Strauss-Kahn. Il a donc décidé d’accuser le contraste. Il sera le candidat de l’identité contre celui de la mondialisation ; du peuple, contre les élites. Il essaye de faire oublier ses amitiés avec les patrons du Cac 40 : ses conflits récents avec le patronat sont inespérés, ça passe ou ça casse. Mais DSK est aussi le non-dit de Hollande. L’ancien secrétaire du PS n’a pas de divergences idéologiques notables avec son camarade socialiste. Ils sont tous les deux pour l’Europe, la mondialisation, ils sont tous les deux des enfants de Delors et de Jospin. Alors, pour se différencier, tandis que les sondages de premier tour sont encore faiblards, Hollande tente, lui aussi, de faire de ses faiblesses une force. Il n’a pas un charisme tonitruant, il rajoute un peu de glaise sur ses mains d’énarque et fait sa plus belle tête d’électeur. Il n’est pas, lui, directeur du FMI, il n’a pas de riad à Marrakech, il n’est pas corrézien, mais il y est élu depuis trente ans. Personne n’est dupe, ni eux ni les Français, mais chacun joue consciencieusement son rôle. Blaise Pascal n’a-t-il pas dit : « Agenouillez-vous et vous croirez » ?