Islam et démocratie
L’Égypte a connu un radieux Printemps arabe, mais les coptes, eux, vivent toujours en hiver. Sous Moubarak, ils étaient victimes de harcèlements et d’attentats sanglants. Depuis la révolution, c’est pire. Cette fois-ci, c’est l’armée elle-même qui les a sauvagement massacrés, lançant des véhicules blindés sur une foule qui manifestait contre l’incendie d’une de ses églises.
Depuis des mois, des militants islamistes les menacent, les harcèlent, les insultent et leur réclament l’impôt que jadis les non-musulmans – appelés avec mépris des dhimmis – payaient pour le prix de leur tranquillité en terre d’islam. Leurs églises sont saccagées et brûlées. Non seulement la révolution n’a pas amélioré leur sort mais elle l’a aggravé. Les islamistes, broyés sous le joug de Moubarak, relèvent la tête, et reprennent la politique sociale qui leur a toujours réussi, vendant à bas prix produits alimentaires et vêtements à des millions de déshérités et futurs électeurs. Même s’ils auront du mal à atteindre la majorité absolue, ils seront sans doute la première force électorale du pays. L’armée, qui n’a jamais vraiment quitté le pouvoir depuis le coup d’État de Nasser en 1952 et qui cherche avant tout à sauvegarder ses prébendes et ses privilèges, les ménage. Ils peuvent ainsi jouer sur les deux tableaux, la respectabilité légaliste et l’agitation violente.
Officiellement, les Frères musulmans, comme toutes les forces politiques égyptiennes, ne jurent que par la liberté de culte, l’égalité des droits et la séparation des pouvoirs. Mais l’article 2 de la nouvelle Constitution égyptienne prévoit que la loi islamique (la charia) est la source principale du droit. On est loin de Montesquieu. Même l’islamiste turc Erdogan a exhorté les Égyptiens à respecter davantage les principes de la laïcité. C’est la même question qui se pose en Tunisie où les laïcs – plus nombreux qu’en Égypte, car la population y est davantage éduquée – s’opposent aux islamistes. Là aussi, les querelles de principes constitutionnels débordent rapidement, les violences se multiplient dans un pays qui n’est plus gouverné.
C’est toute la question de la conciliation entre islam et démocratie, entre une religion qui exige soumission à un ordre divin et se veut à la fois code civil et mode de vie, et la démocratie telle que nous l’entendons qui suppose des citoyens rationnels émancipés de tout dogme, même s’ils restent attachés à une foi. Des questions que nous avons bien connues au XIXe siècle en Europe et qui ont provoqué révolutions, guerres civiles, massacres. En Égypte, les coptes sont devenus un des enjeux tragiques de cette querelle. Depuis des années, ils quittent peu à peu un pays où la présence chrétienne précède l’islam. Quelques décennies après que la présence séculaire juive fut éradiquée, c’est sa composante chrétienne qui disparaît peu à peu d’un monde arabo-musulman en pleine tourmente. Pendant le même temps, les vieilles terres chrétiennes d’Europe voient s’installer sur leur sol des millions de musulmans, qui réclament légitimement liberté de culte et égalité des droits. Comme deux énormes mouvements démographiques en parallèle.