Lundi 28 février 2011

Juppé, le retour

C’est le grand retour en majesté du « meilleur d’entre nous ». Jacques Chirac l’avait appelé ainsi, à la veille de la présidentielle de 1995. On ne s’en souvient plus, mais Philippe Séguin, le grand rival générationnel de Juppé, en avait alors pleuré de rage. À l’époque, Alain Juppé était ministre des Affaires étrangères. Justement. Il y affichait une aisance intellectuelle qui bluffait tout le monde, hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay, collègues français et étrangers, journalistes, et jusqu’au président Mitterrand. Il est vrai qu’il avait tout pour plaire à tous. Il avait voté « oui » au traité de Maastricht, il était favorable à une intervention militaire contre les Serbes en Bosnie. Il faut prendre la phrase de Chirac au premier degré, le « nous » doit être entendu dans le sens étroit des élites politiques, économiques, médiatiques.

Juppé, c’est un esprit de synthèse hors du commun, mis au service d’un conformisme bien-pensant rarement pris en défaut. On l’a vu quand il a tancé Sarkozy sur l’identité nationale ou sur l’islam, à la grande joie des médias et de la gauche. Ou quand il écrit un livre à quatre mains avec Michel Rocard, dont on ne sait plus qui tient le stylo. Avec le même Rocard, il y a quelques mois, il a tordu le cou du grand emprunt voulu par Henri Guaino, afin qu’il rentre exactement dans l’épure acceptée par la puissante administration des finances. En octobre 95, il avait été le Premier ministre du virage vers la rigueur imposée pour rentrer dans les clous de l’euro. Son plan pour la sécurité sociale fut acclamé debout par les parlementaires de droite, mais aussi par de nombreux députés de gauche.

Aujourd’hui, il défend le retour de la France dans l’Otan, qu’il avait naguère condamné. Alain Juppé fut un très brillant ministre des Affaires étrangères parce qu’il appartenait à un gouvernement de cohabitation, ce qui lui donnait un véritable pouvoir. Quelques années plus tard, Hubert Védrine fut lui aussi remarquable, lors d’une nouvelle période de cohabitation. En fait, on devrait dire l’inverse. Ces brillantes personnalités débarquèrent au Quai à cause de la cohabitation. Parce qu’en période constitutionnelle classique, l’Élysée choisit souvent ses ministres en fonction de leurs limites, voire, depuis quelques années, de leur médiocrité. Juppé avait d’abord refusé le Quai car il savait qu’il ne pourrait supporter la tutelle de l’Élysée, de Claude Guéant à Jean-David Levitte. Mais Claude Guéant quitte l’Élysée pour la place Beauvau car le rapport de force est désormais en faveur de Juppé. Sarkozy est aussi fasciné par son intelligence et sa capacité de synthèse que le fut, en son temps, Chirac. Il le consulte et le consultera bien au-delà de ses compétences internationales. L’ancien mauvais élève devenu Président doit être au fond très fier d’utiliser les services du fort en thème. C’est François Fillon qui est la grande victime de l’opération. Aux temps glorieux de l’hyper-présidence, certains avaient vu en lui une sorte de vice-Président à l’américaine. C’est lui désormais qui a un vice-Premier ministre encombrant.

Le Bûcher des vaniteux
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