Vendredi 25 février 2011

Des chiffres et des lettres

Des chiffres et des lettres, des chiffres qui éclairent des mots, et des mots qui expliquent des chiffres. Les grands groupes du Cac 40 et leurs sous-traitants s’affrontent dans une guerre asymétrique où le plus fort lamine le plus faible, le pille, le rackette, le fait chanter, le dépèce. C’est une sorte de nouvelle lutte des classes, mais à l’intérieur du patronat. Karl Marx avait expliqué que le patron prenait la plus grosse part de la plus-value fournie par l’ouvrier pour ne lui laisser que le minimum vital. Les grands groupes mondialisés agissent aujourd’hui de même avec leurs sous-traitants. Par tous les moyens légaux, et souvent illégaux, les acheteurs de ces grands groupes, obsédés par la réduction de leurs coûts, assèchent leurs marges bénéficiaires en leur imposant des prix dérisoires, quand ils ne leur volent pas les secrets de leurs innovations. Ainsi la richesse plantureuse du Cac 40 se fait-elle sur le dos des petites entreprises ; elle les empêche aussi de grandir, de se développer, quand elle ne les torpille pas.

Cette loi d’airain de la mondialisation touche particulièrement la France, car notre pays a de nombreuses entreprises de taille mondiale. Plus que l’Allemagne qui a pourtant une puissance industrielle supérieure. C’est un héritage des années Pompidou, quand le successeur du général de Gaulle avait forgé des grands groupes industriels dans de nombreux secteurs. On raconte que le Président réunissait une fois par mois leurs patrons à l’Élysée, pour diriger leurs stratégies et leur recherche-développement, sans oublier leurs relations avec leurs sous-traitants. Mais après que la gauche les eut nationalisés en 1982, la droite les privatisa en 1986 et ces multinationales s’émancipèrent de la tutelle de l’État en venant se financer sur le marché. Aujourd’hui, le Cac 40 français est détenu à 40 % par des actionnaires étrangers. Qui paye commande. Les grands patrons français ont des stratégies mondialisées ; ils sont hantés par les marchés émergents, discourent et pensent en anglais ; ils défendent leurs propres intérêts et leurs stratégies sont indépendantes voire contradictoires avec celles de leur pays d’origine.

En Allemagne, qu’on nous donne toujours en exemple, les groupes ont des relations beaucoup plus loyales avec leurs sous-traitants nationaux. L’industrie allemande n’a pas été épargnée par les délocalisations, surtout dans les pays d’Europe centrale, mais l’assemblage final a été maintenu en Allemagne, pour sauvegarder le savoir-faire des sous-traitants traditionnels. Sans idéaliser ces relations commerciales, il existe outre-Rhin une solidarité nationale plus grande qui permet aux PME allemandes de grossir et de prospérer. Cette solidarité était jadis incarnée et imposée en France par l’État, qui ne remplit plus son rôle, balayé qu’il a été par l’idéologie libérale et le goût de nombreux hauts fonctionnaires français pour le grand large si rémunérateur. Colbert est mort mais n’a été remplacé par rien ni par personne.

Le Bûcher des vaniteux
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