La disgrâce de Rama Yade
Son rire charmant d’enfant espiègle habille sa trahison d’un halo d’innocence. L’affection qu’elle affirme conserver pour le Président est comme un ruban rose noué autour du couteau planté dans son dos. Elle lui doit tout ? Justement. Labiche avait déjà tout dit dans Le Voyage de Monsieur Perrichon : on aime celui qui nous doit quelque chose ; on déteste celui à qui on doit la vie. Après tout, Sarkozy n’a que ce qu’il mérite, s’étant couvert du ridicule d’une admiration que rien ne justifiait, la comparant à la grande Américaine Condoleezza Rice, ou supportant ses foucades et rébellions. Jean-Pierre Chevènement l’avait dit : « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne » ; Rama Yade avait une excuse : elle n’a jamais été vraiment ministre.
En suivant Jean-Louis Borloo, Rama Yade accélère la décomposition annoncée de l’UMP et la constitution d’un bloc des droites qu’elle prétend justement conjurer. En créant son club dédié à la jeunesse un 21 avril, elle reprend les mythes et les peurs de la gauche. Mais la cohérence politique n’est pas son affaire. Rama Yade est l’une de ces inventions médiatiques qui se gausse de la futilité médiatique. Une de ces créatures du roi qui se retourne contre le monarque qui l’a faite reine. Elle n’est pas la première, ne sera pas la dernière.
Le modèle a vu le jour dans les années 70. Giscard l’a inventé, Mitterrand l’a perfectionné, Chirac l’a galvaudé, Jospin l’a institutionnalisé. Sarkozy l’a américanisé en y ajoutant la fameuse et bien-pensante « diversité ».
Les sondages portent ces femmes sur le pavois ; en général, le peuple les en fait descendre brutalement. Le suffrage universel est leur talon d’Achille. Des hommes aussi se retrouvent dans ce club très sélect : Bernard Kouchner en fut l’archétype flamboyant, qui continuait une tradition remontant à Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud. Le centre est leur terre d’élection. Ils sont tous libéraux et sociaux, démocrates et républicains, progressistes et modernes. Ils peuvent gouverner également avec la gauche et la droite.
Rama Yade devrait se méfier. Déjà, elle devrait bientôt perdre sa confortable sinécure à l’Unesco, pour non-respect du devoir de réserve qui s’impose à tout représentant de la France dans les instances internationales. Elle n’a pas de circonscription ni de fief local où se replier ; le parti radical n’est plus rien sur l’échiquier politique. Son parcours politique ressemble de plus en plus au destin inaccompli de Michèle Barzach. Séduisante mais éphémère ministre de la Santé dans le gouvernement Chirac de 1986, elle affola un moment lucarnes et landerneaux politiques. En 1989, elle trahit Jacques Chirac pour suivre Michel Noir qui défiait le maire de Paris. L’aventure tourna court, lorsque le futur président de la République la démit de tous ses mandats obtenus uniquement grâce à sa bienveillante protection. La fringante rebelle sortit de la vie politique comme elle y était entrée, en un éclair.