Les cantonales, élections au parfum suranné
Les cantonales, c’est l’élection phare de la IIIe République. Quand les voyages se faisaient à cheval, quand les Français étaient majoritairement des ruraux, quand le Sénat était le cœur de la République radicale. Depuis des décennies, on annonce la mort des cantonales et du département. Les modernes de droite comme de gauche ont annoncé cent fois son remplacement par la région, plus adaptée aux transports en voiture et surtout plus conforme aux exigences européennes. Mais le département résiste à toutes les réformes, à toutes les prophéties. À tous les mépris aussi, des technocrates qui dirigent les ministères ou des médias qui ignorent superbement les élections cantonales.
C’est la région qu’on a richement dotée, lui donnant le développement économique, quand on laissait les services sociaux au département. Le département, c’est l’assistante sociale de la mondialisation. C’est la bonne sœur à cornette des vieux films de guerre, qui ramasse les morts et les blessés après le bombardement des délocalisations industrielles, des friches agricoles, de la fermeture des tribunaux, hôpitaux et autres bureaux de poste… Puis qui distribue RMI, allocations diverses et fait construire un nouveau rond-point, aussi inutile que les autres, si ce n’est pour la petite entreprise survivante du coin. Le département, c’est le degré zéro de la politique, mais c’est tout ce qui restait à la politique.
C’est pour cette raison que le département résiste, quand la puissance inouïe des grands groupes mondialisés transforme les présidents de région et même les maires des grandes villes en solliciteurs empressés ; quand Bruxelles transforme notre Assemblée nationale en traducteur en langue française de ses innombrables directives, et demain lui dictera les éléments essentiels du budget de la France, le conseil général conserve l’obscure utilité de celui qui aide un aveugle à traverser la rue. De toutes les collectivités locales, c’est le département qui a gardé la caisse. La caisse sociale.
C’est pour cette raison que le Parti socialiste y domine outrageusement. Au fil des ans, le PS d’Épinay a remis les chaussons de la vieille SFIO. Le clientélisme associatif est aussi naturel aux élus socialistes que les bons sentiments, dans un mélange tranquille de cynisme électoral et d’humanisme sincère. L’assistanat, qui donne souvent mauvaise conscience aux élus de droite, ne les gêne pas. Ils s’en font un titre de gloire. La perspective de détenir, pour la première fois dans l’histoire de la Ve, la majorité au Sénat les motivera.
Écartés du pouvoir central depuis quinze ans, les socialistes ont trouvé dans les départements, plus encore que dans les villes et les régions, l’agence de placement pour leurs hommes et leurs affidés. C’est leur force et c’est aussi leur faiblesse. Entre le niveau cantonal de leur terrain de jeu politicien et l’internationalisme grandiose de leurs grandes idées, ils ne savent plus trop ce qu’est la nation.