Vendredi 23 décembre 2011
Marine Le Pen
Le diable ne sent plus le soufre. Le diable est une blonde et ces temps féminisés l’aident paradoxalement à ne pas passer pour une sorcière. Le diable est né en 1968 et sa naissance tardive lui permet d’ignorer les haines et rancœurs d’un temps où les Français ne s’aimaient pas. Le diable est une femme divorcée, avec enfants, et c’est pas si facile, tu sais, d’être une femme libérée. Le diable est loin d’avoir la culture – littéraire, historique, politique – de son papa : on est davantage l’enfant de sa génération que de ses parents. Pour le pire et le meilleur. Marine Le Pen n’est pas la continuité au féminin du parcours politique de son père, pas plus qu’elle ne s’oppose à lui. Elle s’efforce de réussir ce qu’il a raté. Elle recoud les endroits déchirés du tricot, une maille à l’envers une maille à l’endroit : un parti unifié sous l’autorité du chef, et non pas des féodalités qui s’équilibrent ; le sérieux économique, voire technocratique ; le culte de l’État ; la réconciliation avec les juifs ; une respectabilité médiatique et sociale. La liste est longue de ce que le père a tenté en vain (en 1986, un voyage en Israël est programmé, mais le « détail » gâche tout).
Fifille a repris tout l’argumentaire du puputsch de Mégret et consorts. A attiré à elle quelques chevau-légers du chevènementisme politique que le destin brisé de Jean-Pierre a laissés orphelins. Ils lui ont donné les clefs de réseaux technocratiques dans l’appareil d’État indispensables pour avoir des chiffres et des lettres. Elle en fait grand étalage avec parfois la fierté brouillonne du parvenu. Avec ses graphiques, ses courbes, ses chiffrages au milliard d’euros près, Marine Le Pen ressemble parfois à un Bourgeois gentilhomme de l’énarchie. Mais c’est le prix à payer pour entrer dans la cour des grands, pour être crédible. Pour espérer gouverner un jour.
Ses nouvelles recrues chevènementistes lui permettent de retrouver les couleurs traditionnelles du bonapartisme, vieille tradition politique française. Avec l’héritage de son père sur l’immigration, avec les rapports conflictuels entre l’islam et la laïcité, elle dessine les contours d’un mouvement qui s’inscrit dans toute l’Europe autour de ce qu’on appelle le populisme, et qui n’est qu’une critique – générale dans tout l’Occident – des conséquences de la mondialisation. Insécurités économique, sociale, mais aussi culturelle et identitaire qui touchent avant tout les classes populaires, mais aussi des classes moyennes prolétarisées.
Son potentiel électoral est illimité ; mais ses moyens politiques voire intellectuels sont limités. Les enjeux qu’elle soulève – sortie de l’euro, protectionnisme, inversion des flux migratoires – sont tellement énormes et explosifs qu’elle ne semble pas armée pour les conduire sans dégâts. Marine Le Pen est bien seule au milieu d’un parti qui ne s’est jamais remis de la scission d’il y a dix ans. Elle n’a pas – contrairement aux apparences – les manières enveloppantes de son père. Elle est souvent brutale, cassante, tyrannique. Elle semble souvent en décalage par rapport à son propre mouvement et ses électeurs, séduite par les querelles passionnées – et passionnantes – sur l’euro ou l’Otan, quand ses militants ne vibrent qu’aux diatribes sur les méfaits de l’immigration. Elle tourne parfois au gauchisme puéril, prônant le retour de la retraite à 60 ans, ou condamnant la TVA sociale. Elle a toujours pesté contre la médiocrité de l’entourage paternel : « Pourquoi attire-t-on toujours les plus cons ? » lui demandait jadis la jeune fille. Elle essaye depuis d’attirer les plus intelligents, mais a beaucoup de mal. Le diable jouissait de sa diabolisation, quand la diablesse en souffre.