L’appétit qatari pour le ballon rond
Le football a toujours été la continuation de la politique par d’autres moyens. C’est sans doute Mussolini qui le premier utilisa, en propagandiste habile, les victoires de l’équipe italienne de football aux Coupes du monde de 1934 et de 1938 pour vanter la supériorité du régime fasciste. L’Allemagne se sentit vraiment réintégrée dans la communauté des nations civilisées après la guerre, lorsqu’elle gagna la Coupe du monde en 1954. Les généraux brésiliens au pouvoir dans les années 60 utilisèrent largement le génie de Pelé comme vitrine avenante de leur dictature féroce. Jusqu’à Chirac et Jospin qui exploitèrent comme ils purent la victoire de Zidane et de ses copains en 1998.
Mais avec le Qatar, si c’est toujours du football et de la politique, c’est une autre histoire qui s’écrit. Les Qataris n’ont pas d’équipe nationale digne de ce nom ; ils n’ont pas de tradition de football. Mais ils ont de l’argent. Beaucoup d’argent. Énormément d’argent. Du pétrole comme s’il en pleuvait, et si cela ne suffisait pas, les troisièmes réserves de gaz mondiales. Mais ils ont aussi des voisins. L’Arabie Saoudite : encore plus de pétrole, encore plus de richesses et une alliance avec la puissance américaine, scellée par Roosevelt en 1945. Et puis, l’Iran, son régime islamique, son chiisme militant, sa force nucléaire en gestation.
Le Qatar, à côté des deux géants, c’est Lilliput au pays de l’or noir. Il ne lui servait à rien de se forger une armée pour se protéger contre les menaces potentielles. Alors, pour exister dans cet univers géopolitique dangereux, le Qatar a investi habilement les médias et le sport. Les médias, avec la chaîne Al Jazeera, la CNN du monde arabe. Et le sport : organisation de la Coupe du monde de football en 2022, mondial de hand en 2015, mondiaux d’athlétisme en 2017. Le football est son domaine d’élection. Les joueurs du meilleur club du monde, le FC Barcelone, portent désormais sur leur maillot son blason : la Qatar Foundation. Personne n’ignore en France que le Paris Saint-Germain est devenu sa chose, pour une trentaine de millions d’euros. Une bagatelle à côté de ce qu’aurait coûté le rachat d’un club anglais ou italien.
Le Qatar est devenu l’hyperpuissance du sport, pour reprendre l’expression du spécialiste des relations internationales Pascal Boniface. Il joue de ce moyen d’influence pour exister médiatiquement et diplomatiquement. La pétromonarchie pousse jusqu’à l’incandescence, jusqu’à la caricature, les liens entre football, télé, argent. Elle régnera sans partage sur le foot français ; nos politiques, tous élus locaux, ne pourront rien lui refuser. Elle imite Canal+ pour mieux remplacer la chaîne cryptée. Après le PSG, les droits télé. Sans avoir de relais télévisé en France ? Cela ne saurait tarder. En attendant, ils ont déjà le directeur de la future chaîne, l’ancien patron du foot sur Canal, Charles Biétry. Dans ses emplettes, celui-ci a volontairement laissé les plus belles affiches et surtout la finale de la Champion’s League aux chaînes gratuites. « J’aime trop les gens qui aiment le foot », a-t-il expliqué, magnanime. Notre maître est trop bon.