Vendredi 11 février 2011

Le discours de Dakar de Martine Aubry

Martine Aubry était colère. On lui a gâché son effet. Elle avait préparé un grand discours devant les altermondialistes, une sorte d’appel de Dakar. Elle avait travaillé huit jours dessus. Et puis on ne lui a parlé que de l’appel de Washington d’Anne Sinclair, appelant son mari à ne pas se présenter pour un deuxième mandat au FMI. Martine Aubry, c’est la bonne élève laborieuse qui se fait voler la vedette dans la cour de récréation par la jolie fille. On comprend sa rancœur. On a aussi compris qu’elle est faite pour être présidentiable comme je suis fait pour être bonne sœur. Face à une telle agression médiatique, un autre, une autre – au hasard, Ségolène – aurait embroché le taureau, joué les femmes victimes du machisme ordinaire, donné en exemple le matriarcat africain et mis les avocats de Dominique Strauss-Kahn sur la défensive.

Au lieu de cela, après avoir passé sa colère sur les journalistes, elle a déroulé le discours prévu. La messe est dite. Martine Aubry ne sera pas candidate. Ce n’est pas qu’elle en ait vraiment envie, mais elle ne voit pas au nom de quoi elle devrait laisser la place à l’autre. On la comprend. Martine Aubry incarne vraiment la gauche dans ses profondeurs. Il y a dans ce texte sur l’Afrique la quintessence de la bonne conscience de gauche. De la repentance au kilo, avec condamnation solennelle de la colonisation et de l’esclavage, d’autant plus aisée que cette histoire est achevée depuis longtemps et que ce sont les ancêtres républicains de la gauche qui l’avaient conduite. L’histoire de l’humanité est une suite ininterrompue de conquêtes et de colonisations, où tous les peuples furent successivement des victimes et des bourreaux, mais la vulgate socialiste ne connaît qu’une sorte de victime : l’Africain, et qu’une sorte de bourreau : l’homme blanc. Il y a aussi l’inévitable tarte à la crème de la co-gestion de l’immigration entre l’Europe et l’Afrique. Si ça marchait, ça se saurait. Et le lien non moins traditionnel entre baisse de l’immigration et développement économique des pays d’émigration.

Martine Aubry voit la démographie exubérante de l’Afrique comme une chance, et l’urbanisation effrénée qui détruit tous les équilibres sociaux comme la condition du développement. On est dans le rituel, vide de réalité, le compassionnel démagogique qui ne mange pas de pain. Quand Martine Aubry exalte le panafricanisme, elle oublie de citer son grand prêtre : Nkrumah. Il est vrai qu’il a fini sa carrière en dictateur. Mais le Jiminy Cricket du « politiquement correct » veille sur Martine. En fait, la seule nouveauté du discours résidait dans l’offre de grande alliance entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique du Sud. Sans le dire, l’adversaire d’une telle alliance est l’Asie, et en particulier la Chine, qui s’installe partout en Afrique et se comporte en prédateur brutal des matières premières, comme un vulgaire colonisateur. L’idée n’est pas inintéressante, sauf que Nicolas Sarkozy l’a déjà eue et qu’à l’occasion, Dominique Strauss-Kahn l’aura aussi. Martine est rentrée de Dakar déçue. Personne, sauf moi peut-être, n’a retenu son beau discours. La vie est trop injuste.

Le Bûcher des vaniteux
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