Justice des mineurs ou justice en mineur
C’est une querelle qui dure depuis des années. Une querelle sans fin, où les deux camps se font face sans se convaincre, sans s’écouter même. Une bataille de chiffonniers, d’arguments schématiques et de chiffres tronqués.
D’un côté, les partisans de la justice pour enfants telle qu’elle fonctionne depuis la célèbre ordonnance de 1945 ; de l’autre, ceux qui veulent la supprimer. D’un côté, la gauche et certains centristes ; de l’autre, la droite. D’un côté, ceux qui considèrent que les juges pour enfants sont irremplaçables, qu’ils sont les seuls à prendre en compte l’évolution du mineur, ses antécédents familiaux et sociaux ; de l’autre, ceux qui ne supportent pas qu’on trouve toutes les excuses du monde à des gamins violents multirécidivistes, qui sortent souvent sans encombre du bureau d’un magistrat compréhensif. D’un côté, ceux qui veulent d’abord éduquer et rééduquer, de l’autre, ceux qui veulent d’abord punir. Ceux qui ne pensent qu’à réinsérer et ceux qui voient revenir les monstres paradant dans leur quartier. D’un côté, ceux qui vous rappellent que les jeunes garçons ont toujours été violents, que c’est le propre de l’adolescence, la faute à la testostérone et à la pauvreté, souvenez-vous des blousons noirs ; de l’autre, ceux qui vous assènent que les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. D’un côté, ceux qui sont prêts à toutes les compassions lorsque ces délinquants viennent de familles immigrées ; de l’autre, ceux qui réclament toutes les sévérités pour des jeunes qui n’ont aucune reconnaissance pour la France qui a accueilli les leurs.
Jusqu’à présent, la gauche a toujours gagné, soutenue qu’elle est par le droit et les conventions internationales que les gouvernements successifs ont signées à tour de bras, pour soigner leur image humaniste. Le Conseil constitutionnel veille à leur respect, mais Nicolas Sarkozy insiste, appuyé par son ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, mais surtout par les classes populaires, de gauche comme de droite, qui sont les premières victimes. Elles ne reprochent pas à Sarkozy de remettre en cause l’ordonnance de 1945, mais de ne pas en faire assez contre ces gamins de quatorze ans qui tuent à coups de poing une pauvre enfant de treize ans.
La querelle est largement vaine, car les deux camps sont en réalité dans une impasse. La justice pour mineurs a échoué ; elle est dépassée par des jeunes violents qui se moquent de ses prétentions éducatives comme de leur première barrette de haschich. L’humanisme de l’après-guerre a atteint ses limites. La répression réclamée par Nicolas Sarkozy consolera et rassurera les victimes. Et c’est déjà beaucoup. Mais personne n’ignore que la prison est devenue un titre de gloire, une décoration que certains jeunes arborent à leur retour dans leur quartier. Pour les plus violents d’entre eux, pour les irrécupérables – et ils sont légion –, on ne rouvrira pas le pénitencier de Cayenne. Des centres fermés, à tonalité militaire, peuvent en récupérer quelques-uns. Mais pour les autres ? C’est l’absence de solution à court terme qui donne à cette querelle son caractère désespéré.