La malédiction des Grimaldi
Le ridicule leur colle à la peau. Ils font des efforts pourtant, ils s’achètent une conduite ; en vieillissant, ils ont mis un fard de dignité sur leurs frasques de jeunesse. Mais rien n’y fait. Les Monaco sont irrésistiblement réduits à leur statut de principauté d’opérette. Entre Gala et Voici, entre glamour et scandale. Une question de taille sans doute. À l’ère des États-mastodontes à plusieurs centaines de millions d’habitants, il est fort difficile pour un petit pays de 35 000 habitants dont seulement 7 000 Monégasques, d’exister. Small n’est plus si beautiful. Le même protocole inspiré de nos anciennes monarchies a l’allure d’une glorieuse tradition avec la famille royale anglaise et d’une pompe surannée avec les Grimaldi. C’est injuste ; souvent la vie est injuste. Dans ses célèbres Mémoires, le duc de Saint-Simon nous conte avec sa méchanceté coutumière qu’à la cour de Louis XIV, le prince de Monaco passait pour un usurpateur parvenu, arrogant et grotesque. Déjà.
Le prince Rainier avait hérité la morgue élégante de ses ancêtres. C’était un homme d’ancienne roche. Mais il fut le prince du nouveau Rocher, bétonnant à tout-va, au grand dam de son associé de l’époque, Onassis. Il avait compris les rapports de force de l’après-guerre, s’était rendu à Hollywood, épouser une actrice, comme les anciens rois quêtaient une princesse Habsbourg ou Bourbon, afin d’être protégés par la grande puissance du moment. Il fit de la médiatisation sa dissuasion nucléaire. Des unes de Paris-Match, sa force de frappe. Mais la folle peopolisation détruisit sa famille. La malédiction d’Hollywood tomba sur Monaco. Alors l’argent sale coula à flot sur le Rocher. Il enrichissait une principauté qui se donnait des airs de banque suisse de la Méditerranée. Rainier rejetait avec hauteur les accusations internationales de paradis fiscal, et s’accrochait à sa souveraineté nationale, comme un de Gaulle en miniature.
Le fils n’était pas de la même trempe. Dès son avènement, en 2000, il abdiqua. La transparence devint le maître mot du nouveau régime. Mais les vertus privées ne font pas forcément les vertus publiques. L’argent sale des oligarques russes ou des tyrans africains se déversa ailleurs. Le bétonnage montrait aussi ses limites. Les nouveaux magnats des pays émergents ou les princes arabes ne trouvaient plus palaces à leurs pieds. Les industriels italiens qui avaient fui les Brigades rouges dans les années 70 étaient rentrés chez eux. Monaco devint le royaume des simples riches. Qui menaient une vie tranquille, rangée. Pépère. Finis, les fastes d’antan, la dolce vita. Le souverain devait suivre ses sujets. Faire une fin. Se marier. Avoir des enfants. Si possible, avec son épouse légitime. Nos grands rois ont toujours accumulé les bâtards, mais ils en faisaient aussi des légitimes à la reine. Les mariages de raison d’autrefois avaient leurs contraintes, leur confort aussi, pour des souverains qui ne peuvent souffrir le ridicule. Notre époque préfère l’ivresse romantique des idylles, qui tourne souvent à la confusion des sentiments.