Riva-Rocci

La mort de Staline ne fit naître aucun espoir nouveau dans les cœurs endurcis des détenus, elle ne réactiva pas ces moteurs à bout de forces, fatigués de faire circuler un sang épais le long de veines étrécies et coriaces.

Mais sur toutes les ondes radio, répercuté par l’écho réitéré des montagnes, de la neige et du ciel, sous les châlits, dans tous les recoins des gîtes de détenus, se faufilait un mot, un mot capital qui promettait de résoudre tous nos problèmes : proclamer les justes pécheurs, punir les méchants, trouver le moyen de replanter sans douleur toutes les dents cassées.

Des rumeurs classiques avaient surgi et se propageaient, des bruits qui parlaient d’amnistie.

Toutes les grandes dates de l’histoire d’un État, depuis les jubilés jusqu’aux tricentenaires, en passant par le couronnement des héritiers du trône, les changements de l’équipe dirigeante ou même les remaniements ministériels, tout cela descend du haut des cieux jusqu’au monde souterrain sous forme d’amnistie. C’est un aspect classique des relations entre le haut et le bas.

La rumeur traditionnelle à laquelle tout le monde croit est la forme la plus bureaucratique qui soit de l’espoir des détenus.

Et le gouvernement, répondant à cette attente traditionnelle, accomplit l’acte traditionnel : il proclame l’amnistie.

Le gouvernement de l’époque post-stalinienne ne faillit pas à la tradition. Il lui semblait qu’accomplir cet acte consacré et répéter ce geste des tsars, c’était remplir un devoir moral envers l’humanité, et que la formalité même de l’amnistie était pleine d’un contenu lourd de sens.

Cette formalité séculaire permet de s’acquitter d’une obligation morale à laquelle tout gouvernement est tenu. Ne pas l’observer, c’est manquer à son devoir envers l’Histoire et le pays.

On avait donc préparé une amnistie en toute hâte, pour ne pas faillir au modèle classique.

Béria, Malenkov et Vychinski avaient mobilisé des juristes sûrs (et moins sûrs), et leur avaient livré l’idée de l’amnistie. Le reste était affaire de bureaucratie.

L’amnistie arriva à la Kolyma après le 5 mars 1953[41] touchant des gens qui avaient vécu toute la guerre ballottés de-ci, de-là, par le pendule du Destin, oscillant, à chaque défaite et à chaque victoire, d’un espoir aveugle aux affres de la déception. Et il n’y avait pas de mage ni de sage capable de discerner si l’intérêt, l’avantage, le salut du détenu, se trouvaient dans la victoire ou dans la défaite du pays.

L’amnistie toucha les trotskistes et les siglards qui avaient survécu aux exécutions de Garanine, à la faim et au froid des mines d’or de 1938, aux camps d’extermination staliniens.

Tous ceux qui n’avaient pas été tués, fusillés, battus à mort à coups de botte et de crosse par les soldats d’escorte, les chefs de brigade, les répartiteurs et les contremaîtres, avaient payé leur vie au prix fort, par des rallonges de peine doublant ou triplant la condamnation de cinq ans qu’ils avaient apportée de Moscou.

À la Kolyma, il n’existait pas de détenus condamnés à cinq ans selon l’article 58. Les « cinq ans » étaient une couche très mince, très ténue de gens condamnés en 1937 avant l’entrevue de Béria avec Staline et Jdanov à la datcha de Staline en juin 1937, où les peines de cinq ans avaient été abandonnées et où l’on avait autorisé le recours à la méthode numéro trois pour l’extorsion des aveux.

Mais sur cette courte liste d’un nombre insignifiant de « cinq ans », il n’en était pas un qui n’eût reçu, avant ou pendant la guerre, une rallonge de dix, quinze ou vingt-cinq ans.

Quant aux rarissimes « cinq ans » qui n’avaient pas eu droit à une rallonge, qui n’étaient pas morts et n’avaient pas échoué dans les archives numéro trois[42], cela faisait longtemps qu’ils avaient été libérés et qu’ils exerçaient le métier de tueur dans ces mêmes mines d’or, comme contremaîtres, surveillants, chefs de brigade ou chefs de secteur. Ils s’étaient mis à tuer eux-mêmes leurs anciens camarades.

En 1953, à la Kolyma, les seuls à purger une peine de cinq ans étaient des criminels condamnés sur place pour des délits de droit commun. Il y en avait très peu. Les instructeurs avaient simplement été trop paresseux pour leur coller, leur souder l’article 58. En d’autres termes, le phénomène concentrationnaire était devenu d’une évidence si convaincante et si claire, que ce n’était plus la peine de recourir à l’arme ancienne, mais redoutable, de l’article 58, article universel qui n’épargnait ni l’âge ni le sexe. Un détenu ayant purgé une peine selon l’article 58 et condamné à la relégation à vie s’arrangeait pour être à nouveau épinglé, mais pour un crime digne de l’estime des hommes, de Dieu et de l’État, comme le vol ou la concussion. En un mot, ceux qui étaient condamnés comme droit commun ne s’en affligeaient pas le moins du monde.

La Kolyma était un camp de récidivistes, non seulement politiques, mais aussi de droit commun.

L’apogée du système juridique de l’époque stalinienne (là, deux écoles se rejoignaient, deux pôles du droit pénal, Krylenko et Vychinski) était l’amalgame, la fusion de deux crimes : le crime de droit commun et le crime politique. En déclarant dans une interview fameuse qu’il n’y avait pas de prisonniers politiques en URSS, mais uniquement des criminels d’État, Litvinov ne faisait que répéter les paroles de Vychinski.

Inventer un délit de droit commun et l’accoler à une affaire purement politique, c’était l’essence même de l’amalgame.

Formellement, la Kolyma est, comme Dachau, un camp spécial pour récidivistes, droit commun et politiques. D’ailleurs, on les enfermait ensemble. Sur ordre d’en haut. D’après des instructions théoriques de principe formulées par les hautes autorités, Garanine avait transformé les droit commun réfractaires au travail, ces « amis du peuple », en « ennemis du peuple », et les avait condamnés pour sabotage selon l’article 58 alinéa 14.

C’était ce qu’il y avait de plus profitable. Les truands les plus influents avaient été exécutés en 1938. À ceux qui l’étaient moins, on avait collé quinze, vingt ou vingt-cinq ans pour refus de travail. Et on les avait enfermés avec des caves, leur offrant ainsi la possibilité de vivre confortablement jusqu’à la fin de leurs jours.

Garanine n’était pas du tout un admirateur des criminels de droit commun. Tout ce tapage autour des récidivistes était une marotte de Berzine. De ce point de vue aussi, Garanine a remanié son héritage.

Durant la décennie de la guerre, de 1937 à 1947, sous les yeux des directeurs de prison, des pionniers du système concentrationnaire, des fanatiques du bagne (des yeux qui en avaient déjà tant vu et s’étaient habitués à tout) surgirent, comme dans ces diascopes qu’on utilise à l’école, des groupes, des contingents, des catégories de détenus qui se succédaient ou se complétaient, comme les faisceaux lumineux qui se confondent dans l’expérience de Beach, selon qu’ils étaient ou non éclairés par le rayon de la Justice, qui du reste n’était pas un rayon, mais une épée tranchant les têtes et tuant de façon on ne peut plus réelle.

Dans la tache lumineuse de ce diascope manié par l’État surgissaient de simples détenus d’ITL (camp de rééducation par le travail) et non des ITR (travailleurs ingénieurs-techniciens). Mais la similitude des deux sigles recouvrait souvent une similitude de destins.

Les anciens détenus, les anciens zékas, constituent tout un groupe social frappé du sceau éternel de la privation de droits. Les détenus de l’avenir, ce sont tous ceux dont les affaires sont déjà montées, mais pas encore bouclées, ainsi que ceux dont les affaires n’ont pas encore été mises en branle.

Dans une chanson humoristique des années vingt sur les maisons de redressement (les premières colonies de travaux forcés) un auteur anonyme, le Boïane ou le Pimène[43] des droit commun récidivistes, comparait en vers le destin de l’homme libre et celui du délinquant incarcéré, comparaison toute à l’avantage du second :

Nous, notre avenir, c’est la liberté !

Mais le vôtre… c’est quoi ?

Cette boutade cessa d’être une boutade dans les années trente et quarante. On planifiait dans les plus hautes sphères l’envoi en camp de gens déjà en déportation ou en relégation, interdits de séjour dans un nombre de villes (« d’agglomérations », comme on disait dans les instructions) allant de un à cinq cents.

Selon une arithmétique devenue classique, trois mandats d’amener à la milice équivalaient à une condamnation. Et deux condamnations fournissaient un prétexte juridique pour avoir recours à la force des grilles et de la zone.

Cette année-là, à la Kolyma, il y avait les contingents A, B, C, D et E, chacun pourvu d’une direction et d’un personnel propres.

Le contingent E était composé de citoyens tout à fait libres mobilisés dans des mines d’uranium secrètes et gardés à la Kolyma dans un secret bien plus grand que n’importe quel Baïdeman.

Près d’une mine d’uranium à laquelle les zékas ordinaires n’avaient pas accès en raison de son caractère secret, se trouvait le gisement d’or de Katorjny. Là, non seulement c’étaient les matricules et les vêtements rayés, mais on dressait des potences et on exécutait les sentences de façon on ne peut plus réelle, en toute légalité.

À côté de Katorjny, il y avait un gisement du Berlag, c’était aussi un camp à numéros, mais pas un bagne, où les détenus avaient des matricules et une plaque en fer blanc sur le dos, où ils étaient conduits au travail sous escorte, avec deux fois plus de chiens.

J’ai été envoyé là-bas, mais je n’y suis jamais arrivé. Au Berlag, on sélectionnait les gens d’après leur biographie. Beaucoup de mes camarades ont échoué dans ces camps à numéros.

Les conditions n’étaient pas pires, elles étaient même meilleures que dans les camps de rééducation par le travail à régime général.

Dans ces derniers, le détenu était la proie des truands, des surveillants, des chefs de brigade et des autres prisonniers. Tandis que dans les camps à numéros, la surveillance était assurée par des libres. À la cuisine et dans les kiosques aussi, les employés étaient des libres. Avoir un numéro dans le dos, ce n’est pas une affaire. Du moment que tes camarades ne te prennent pas ton pain, qu’ils ne t’obligent pas à travailler en t’extorquant à coups de bâton un résultat indispensable pour le plan. L’État avait demandé aux amis du peuple de l’aider à exterminer physiquement les ennemis du peuple. Et ces amis, les truands, les droit commun, s’acquittaient de cette tâche au sens strictement physique du terme.

Il y avait aussi dans les environs un gisement où travaillaient des gens condamnés à la prison, mais les travaux forcés étant plus profitables, on avait troqué leur peine de prison contre « l’air pur d’un camp de travail ». Ceux qui ont purgé leur condamnation en prison ont survécu. Ceux qui l’ont purgée dans un camp sont morts.

Pendant la guerre, la relève du contingent était nulle. Toutes les commissions de déchargement envoyaient les condamnés, non à la Kolyma, mais au front, expier leur faute dans des compagnies de renfort.

Les effectifs de la Kolyma s’effondrèrent de façon catastrophique, bien que personne n’eût été envoyé sur la Grande Terre et qu’aucun détenu ne fût parti pour le front, en dépit du grand nombre de candidats proposant d’y aller pour se racheter (tous les articles, sauf les truands).

Les gens mouraient de la mort naturelle de la Kolyma, et le sang se mit à couler plus lentement dans les veines des camps, par à coups, en s’arrêtant à tout bout de champ.

On tenta une transfusion de sang frais avec les criminels de guerre. En 1945 et 1946, on amena dans les camps, par bateaux entiers, des nouveaux, des rapatriés que l’on débarquait sur la côte rocheuse de Magadane par fournées, sans dossier pénitentiaire ni autres formalités. Comme toujours, les formalités étaient en retard sur la vie : des listes de noms sur du papier à cigarette froissé par les mains sales des soldats d’escorte.

Tous ces gens (ils étaient des dizaines de milliers) occupaient dans les statistiques carcérales une place juridiquement définie, ils étaient des « hors-comptes ».

Cette fois encore, le contingent était varié. L’ampleur de l’imagination juridique de cette époque attend toujours son chantre.

Il y avait des groupes considérables avec un bordereau-sentence en bonne et due forme : « six ans pour vérification ». Le destin de ces détenus devait être fixé d’après leur conduite au cours de six années passées à la Kolyma, où six mois est un délai fatidique et mortel. Or, il s’agissait de six ans, et non de six mois ou de six jours.

La plupart de ces condamnés à six ans sont morts au travail. Quant à ceux qui ont survécu, ils ont tous été libérés le même jour, sur décision du XXCongrès.

Un appareil juridique venu du continent besognait nuit et jour sur ces « hors-comptes » envoyés à la Kolyma d’après des listes. Nuit et jour, des interrogatoires se déroulaient dans des cabanes exiguës, dans des baraques de la Kolyma, et Moscou décidait : pour les uns quinze ans, pour d’autres vingt-cinq, et pour certains, la peine capitale. Je ne connais aucun cas d’acquittement, d’absolution, mais je ne puis être au courant de tout. Il est possible qu’il y ait eu des acquittements, des réhabilitations totales.

On obligeait tous ces prévenus, ainsi que les condamnés à six ans qui, tout compte fait, étaient aussi en état d’inculpation, à travailler selon les lois de la Kolyma : trois refus, on abat.

Ils étaient arrivés à la Kolyma pour remplacer les trotskistes morts ou qui étaient, s’ils vivaient encore, dans un tel état d’épuisement qu’ils étaient incapables d’extraire non seulement un gramme d’or d’une roche, mais pas même un simple gramme de ladite roche.

Les traîtres à la patrie et les maraudeurs remplirent les baraques de détenus et les cabanes qui s’étaient vidées pendant la guerre. On répara les portes, on remplaça les barreaux, on déroula autour des zones du fil de fer barbelé tout neuf, on rafraîchit ces lieux où la vie, ou plutôt la mort, avait bouillonné en 1938.

Mis à part les 58, la majorité des détenus étaient condamnés selon un article particulier, l’article 192. Cet article, qui passe complètement inaperçu en temps de paix, connut une somptueuse floraison dès le premier coup de canon, dès la première bombe, dès la première rafale de mitraillette. Il se mit alors à proliférer en compléments, annexes, paragraphes et alinéas, comme tout article qui se respecte dans ce genre de situation. On vit aussitôt surgir un 192 a, b, c, d, jusqu’à épuisement de l’alphabet. Chaque lettre de ce redoutable alphabet bourgeonna en paragraphes, en alinéas. Par exemple : article 192 a, paragraphe 1, alinéa 2. Chaque paragraphe engendra des annexes, et cet article d’allure modeste proliféra comme une toile d’araignée, rappelant par son dessin une forêt touffue.

Pas un paragraphe, pas un alinéa, pas un point, pas une lettre n’infligeait moins de quinze ans, et aucun ne dispensait de travail, ce dernier était la préoccupation essentielle des législateurs.

À la Kolyma, tous les condamnés selon l’article 192 étaient voués à l’inévitable travail qui ennoblit. Uniquement les travaux de force, avec un pic, une pelle et une brouette. Mais ce n’était tout de même pas l’article 58.

Pendant la guerre, on collait l’article 192 aux victimes de la justice dont on ne pouvait tirer ni propagande, ni trahison, ni sabotage.

Soit parce que l’instructeur n’avait pas fait preuve de la ténacité voulue, ne s’était pas montré à la hauteur et n’avait pas su coller l’étiquette à la mode sur un crime démodé, soit parce que la résistance de la personne physique avait été telle que l’instructeur s’était lassé, sans pouvoir se résoudre à recourir à la méthode numéro trois. L’univers de l’instruction connaît ses flux et ses reflux, ses modes, ses luttes d’influence souterraines.

Une sentence est toujours le résultat d’une série de raisons, souvent purement extérieures.

Nul n’a encore cerné la psychologie des créateurs à l’œuvre ici, et la première pierre de cet important chantier de notre temps est encore à poser.

C’est selon cet article 192 que Mikhaïl Ivanovitch Novikov, un ingénieur en construction de Minsk, avait été débarqué à la Kolyma avec une peine de quinze ans. Novikov souffrait d’hypertension, une tension constante d’environ 240 selon l’appareil de Riva-Rocci.

Malade chronique, il vivait perpétuellement sous la menace d’un infarctus, d’une attaque d’apoplexie. Tout le monde le savait, à Minsk comme à Magadane. Il était interdit d’amener de tels malades à la Kolyma, c’était pour cela que les examens médicaux existaient. Mais, à partir de 1937, les administrations médicales des prisons, des établissements de transit et des camps avaient supprimé toutes les dispenses pour infirmité ou pour raison d’âge ; dans les convois Vladivostok-Magadane, cet ordre avait été confirmé deux fois pour les détenus des camps spéciaux, pour les KRTD et, de façon générale, pour tout le contingent destiné à vivre et surtout, à mourir à la Kolyma.

On avait enjoint à la Kolyma de se débarrasser elle-même des scories, toujours par voie bureaucratique : procès-verbaux, listes, commissions, convois, cachets innombrables.

De fait, la Kolyma ne renvoya que très peu de scories.

On expédiait dans les mines d’or non seulement les gens en mauvaise santé, les culs-de-jatte, et les vieillards de plus de soixante-cinq ans, mais également les tuberculeux et les cardiaques.

Dans la masse, un hypertendu passait, non pour un malade, mais pour un tire-au-flanc au teint vermeil en excellente santé, qui refusait de travailler et mangeait le pain de l’État. Il se faisait nourrir gratis.

Un tire-au-flanc au teint vermeil, voilà donc ce qu’était, aux yeux des autorités, l’ingénieur Novikov, détenu dans le secteur de Baragone, près d’Oïmiakone, où se trouvait la Direction routière des camps de rééducation par le travail du Nord-Est.

Malheureusement, tous les employés médicaux de la Kolyma ne savent pas se servir d’un appareil de Riva-Rocci, même si tous, aides-médecins, infirmiers et médecins, doivent savoir prendre le pouls. Tous les centres médicaux recevaient des appareils de Riva-Rocci, ainsi que des thermomètres, des bandes et de l’iode. Mais, dans le poste où je venais d’être affecté au titre d’aide-médecin (mon premier travail libre depuis dix-sept ans), il n’y avait ni thermomètre, ni bandes. Rien qu’un appareil de Riva-Rocci. Contrairement aux thermomètres, il n’était pas cassé. À la Kolyma, enregistrer un thermomètre cassé, c’est toute une histoire, aussi garde-t-on toujours tous les débris jusqu’à la déclaration, jusqu’au procès-verbal, comme si c’étaient des vestiges de Pompéi ou des fragments de céramique hittite.

Les médecins de la Kolyma ont l’habitude de se débrouiller non seulement sans appareil de Riva-Rocci, mais aussi sans thermomètre. Même à l’hôpital Central, on n’utilisait le thermomètre que pour les grands malades, pour les autres, on prenait la température au pouls, comme dans les innombrables infirmeries des camps.

J’étais au courant de tout cela. À Baragone, je m’étais rendu compte que l’appareil de Riva-Rocci était en parfait état, seulement l’aide-médecin que je remplaçais ne s’en était jamais servi.

J’avais appris à l’utiliser pendant ma formation. Je m’étais entraîné des milliers de fois au cours de mes stages, on m’avait chargé de prendre la tension des malades qui peuplaient les baraques d’invalides. Pour ce qui était de se servir d’un Riva-Rocci, j’étais donc fin prêt.

J’avais la responsabilité des effectifs, deux cents personnes, ainsi que des médicaments, des instruments et des armoires. Ce n’était pas une plaisanterie. J’étais un aide-médecin libre, bien qu’ancien zéka. Je vivais déjà hors de la zone, non dans une cabine individuelle à l’intérieur d’une baraque, mais dans un foyer de libres à quatre châlits qui était bien plus misérable, bien plus glacé et bien moins accueillant que ma cabine du camp.

Mais je devais aller de l’avant, regarder droit devant moi.

Ces changements insignifiants dans ma vie quotidienne ne m’importaient guère. Je ne bois pas d’alcool et, pour le reste, tout demeurait dans les limites ordinaires, c’est-à-dire concentrationnaires.

Le jour de ma première consultation, un homme d’une quarantaine d’années en vareuse de détenu m’attendait à la porte pour me parler en particulier.

Je refuse les conversations en tête à tête au camp, cela se termine toujours par des offres de pots-de-vin, des promesses et des cadeaux, qui sont d’ailleurs proposés comme ça, à tout hasard. Il y a à cela une raison profonde, et j’étudierai un jour cette question en détail.

Cette fois, à Baragone, il y avait dans le ton de ce malade quelque chose qui m’incita à l’écouter jusqu’au bout.

Il me demanda de l’examiner encore une fois, bien qu’il eût déjà subi une visite médicale en groupe une heure auparavant.

— Pour quelle raison ?

— Eh bien, voilà, citoyen aide-médecin. Je suis malade, et l’on ne me donne pas de dispense.

— Comment cela ?

— J’ai des maux de tête, des élancements dans les tempes.

J’inscrivis sur mon cahier : « Novikov, Mikhaïl Ivanovitch », et lui tâtai le pouls. Le cœur grondait et s’emballait, c’était quelque chose d’inouï. Perplexe, je levai les yeux du sablier.

— Vous pouvez utiliser cet appareil ? murmura Novikov en montrant l’appareil de Riva-Rocci sur le coin de la table.

— Bien sûr.

— Vous pouvez prendre ma tension ?

— Tout de suite, si vous voulez.

Il s’empressa de se déshabiller, s’assit près de la table et releva sa manche en découvrant son bras, ou plutôt son épaule.

Je pris le stéthoscope. Le cœur battait à grands coups, et le mercure, dans l’appareil, s’affola soudain.

J’inscrivis le verdict de l’appareil : 260/110.

— L’autre bras.

Le résultat fut le même.

J’écrivis d’une main ferme : « Dispenser de travail. Diagnostic : Hypertension 260/110 ».

— Alors je peux ne pas aller travailler demain ?

— Bien sûr !

Il fondit en larmes.

— Qu’y a-t-il ? Tu as un problème ?

— Vous comprenez, aide-médecin, dit-il en évitant cette fois d’ajouter « citoyen », comme pour me rappeler que j’étais un ancien zéka. Celui que vous remplacez ne savait pas se servir de cet appareil, il disait qu’il était cassé. Or, j’avais déjà de l’hypertension à Minsk, sur le continent, quand j’étais libre. On m’a amené à la Kolyma sans vérifier ma tension.

— Bon, eh bien, pour l’instant, tu vas avoir une dispense, ensuite, on te fera un certificat et tu partiras, sinon sur la Grande Terre, du moins à Magadane.

Le jour suivant, je fus convoqué dans le bureau de Tkatchouk, qui dirigeait notre OLP en qualité d’adjudant-chef. En principe, c’était un lieutenant qui devait occuper cet emploi. Tkatchouk s’accrochait à son poste.

— Tu as dispensé Novikov de travail. J’ai vérifié, c’est un simulateur.

— Novikov n’est pas un simulateur. Il a de l’hypertension.

— Je vais téléphoner pour convoquer une commission médicale. On verra alors si on le dispense de travail.

— Non, camarade directeur, dis-je en m’adressant à lui comme un libre, alors que j’avais l’habitude de dire « citoyen directeur » encore un an auparavant. Je vais d’abord le dispenser de travail, et ensuite, vous convoquerez une commission de la Direction. Ou bien cette commission approuvera ma décision, ou bien elle me révoquera. Vous pouvez faire un rapport sur moi, mais je vous prie de ne pas intervenir dans mon domaine, qui est purement médical.

Notre conversation se termina là-dessus. Novikov resta dans sa baraque, et Tkatchouk fit venir une commission. Elle était composée de deux médecins, tous deux munis d’un appareil de Riva-Rocci, l’un soviétique, comme le mien, et l’autre japonais, avec un manomètre rond, une prise de guerre. Mais il était facile d’apprendre à s’en servir.

Ils vérifièrent la tension de Novikov, et leurs chiffres concordèrent avec les miens. On établit un certificat d’invalidité, et Novikov resta dans sa baraque, à attendre un convoi d’invalides ou simplement un convoi de passage pour gagner Magadane.

Mes supérieurs médicaux ne me remercièrent même pas.

Ma prise de bec avec Tkatchouk ne resta pas ignorée des détenus de la baraque.

La liquidation des poux, que j’avais obtenue selon une méthode apprise à l’hôpital Central (par ébouillantage dans des cuves de pétrole) était une recette de la Seconde Guerre mondiale. Ma lutte antipoux, la rapidité, l’efficacité et la commodité de mes opérations de désinfection me réconcilièrent avec Tkatchouk.

Mais Novikov se morfondait en attendant un convoi.

— Je pourrais faire un travail facile, me dit-il à une consultation du soir. Vous n’avez qu’à me demander.

— Je ne vous demande rien.

La question de Novikov était devenue pour moi une affaire personnelle mettant en jeu mon prestige d’aide-médecin.

Des événements nouveaux et tumultueux balayèrent le drame de mon hypertendu, ainsi que les miracles de ma lutte antipoux.

Ce fut l’amnistie, entrée dans l’histoire sous le nom d’« amnistie de Béria ». Le texte, imprimé à Magadane, fut envoyé dans les coins les plus reculés de la Kolyma, afin que l’humanité concentrationnaire reconnaissante frémisse, se réjouisse, apprécie, s’incline et remercie. Cette amnistie concernait tous les détenus, quel que fût leur lieu de détention, et les rétablissait dans tous leurs droits.

On libérait un par un tous les 58, tous les alinéas, tous les points et tous les paragraphes, en les rétablissant dans leurs droits. Les 58 condamnés à moins de cinq ans.

Des peines de cinq ans, les 58 n’en avaient reçu qu’à l’aube de la brumeuse année 1937. Ces gens-là étaient soit morts, soit libérés, ou alors ils avaient reçu un supplément de peine.

Les peines prononcées par Garanine contre des truands (il les avait fait condamner pour sabotage selon l’article 58-14) étaient commuées, et ils étaient libérés. Beaucoup de droit commun eurent une remise de peine, y compris des articles 192.

Cette amnistie ne touchait pas les 58 qui avaient reçu une seconde peine, mais seulement les criminels récidivistes. Une pirouette typiquement stalinienne.

Aucun homme ne pouvait sortir des limites du camp s’il avait été jadis condamné selon l’article 58. Je n’emploie pas ici le mot « homme » dans le sens que lui donnent les truands. Dans leur jargon, il s’agit toujours d’un des leurs, un ourka, un membre de la pègre.

Telle fut la conséquence principale de l’amnistie de Béria. Il avait enfourché le cheval de Staline.

Les seuls à être libérés furent les truands que Garanine avait tant traqués.

L’amnistie de Béria libéra tous les droit commun, les réhabilitant, les rétablissant dans leurs droits. L’État les considérait comme de vrais amis, comme un soutien sûr.

Ce coup fut une surprise, mais pas pour les 58. Eux, ils avaient l’habitude de ce genre de cadeaux.

Ce fut une surprise pour l’administration de Magadane qui s’attendait à tout autre chose. Et ce fut une surprise totale pour les truands eux-mêmes, dont le ciel se dégageait soudain. Dans les rues de Magadane et de tous les villages de la Kolyma rôdaient des assassins, des voleurs, des violeurs qui, quelles que soient les circonstances, avaient besoin de manger quatre fois ou au moins trois fois par jour, sinon de la soupe au chou avec du mouton, tout au moins de la semoule d’orge perlé.

Aussi, la mesure la plus raisonnable et la plus simple que pouvait prendre un fonctionnaire à l’esprit pratique était d’assurer au plus vite le transport de ce flux considérable en direction du continent, de la Grande Terre. Il y avait deux routes : Magadane, puis Vladivostok par la mer – l’itinéraire classique des habitants de la Kolyma, avec des pratiques et une terminologie datant encore de l’époque de Sakhaline, frappées de l’estampille tsariste, l’estampille de Nicolas.

Et il y avait une autre route, à travers la taïga jusqu’à l’Aldane, puis en bateau par la Léna. Cette route était moins populaire, mais il y avait des libres et des évadés qui gagnaient la Grande Terre par ce chemin.

Il y avait aussi une voie aérienne. Mais, avec le temps incertain qui règne l’été en Arctique, les vols de la Compagnie du Nord ne promettaient que des aléas. D’ailleurs il était évident que les avions-cargos, des Douglas à quatorze places, ne pouvaient résoudre le problème du transport.

La liberté attire et tous, les truands comme les caves, se hâtaient de faire légaliser leurs papiers et de s’en aller, car le gouvernement pouvait changer d’avis et revenir sur sa décision, ça, même les truands le comprenaient.

Les camions de tous les camps de la Kolyma furent réquisitionnés pour convoyer cette vague de fange.

Il n’y avait aucun espoir de voir nos truands de Baragone expédiés de sitôt. On les envoya donc en direction de la Léna, qu’ils devaient descendre par leurs propres moyens à partir de Yakoutsk. La compagnie de navigation fluviale de la Léna fournit un bateau à ces libérés, et leur souhaita bon voyage en poussant un soupir de soulagement.

Au cours du voyage, les vivres vinrent à manquer. Personne ne pouvait faire de troc avec les habitants, car ils n’avaient rien à échanger, du reste il n’y avait pas d’habitants pour leur vendre des denrées comestibles. Les truands, après s’être emparés du navire et de son équipage (le capitaine et le navigateur), décidèrent lors d’une assemblée générale d’utiliser en guise de viande les caves voyageant avec eux. Les truands étaient bien plus nombreux que les caves. Mais, même s’ils avaient été moins nombreux, cela n’aurait rien changé à leur décision.

Ils égorgèrent les caves et les firent cuire petit à petit dans la chaudière du bateau. À l’arrivée, tous avaient été tués. Je crois qu’il ne restait plus que le capitaine ou le navigateur.

Le travail dans les mines s’était interrompu et ne devait pas retrouver de sitôt un rythme normal.

Les truands se dépêchaient. Quelqu’un pouvait se rendre compte de l’erreur. Les autorités aussi se hâtaient de se débarrasser de ce dangereux contingent. Mais ce n’était pas une erreur, c’était un acte parfaitement conscient perpétré en toute liberté par Béria et ses collaborateurs.

Je connais bien les détails de cette histoire, car Bloomstein, un camarade de l’invalide Novikov, jugé pour le même crime que lui, était parti avec ce convoi. Bloomstein avait voulu échapper au plus vite aux rouages de la machine, il avait essayé de précipiter sa course. Et il a péri.

Un ordre arriva de Magadane : hâter le plus possible l’examen et la procédure des affaires. On créa des commissions spéciales, des sortes de tribunaux ambulants qui distribuaient les papiers d’identité sur place et non à la Direction de Magadane, afin d’alléger un peu la pression menaçante et confuse de ces vagues. Des vagues qu’il était impossible de qualifier d’humaines.

Ces commissions apportaient des papiers tout prêts. Aux uns, une remise de peine, aux autres une nouvelle condamnation, ou bien rien du tout, ou encore la liberté totale. Ce « groupe de libération », comme on disait, fit un excellent travail de comptabilité.

Notre camp, une mission routière où il y avait beaucoup de droit commun, se vida complètement. En grande pompe, au son d’un orchestre d’instruments à vent, des trompettes du Jugement dernier qui, en 1938, avaient sonné la fanfare dans les mines après la lecture de chaque condamnation à mort, la commission itinérante délivra un billet pour la vie à plus d’une centaine d’habitants de notre camp.

Parmi la centaine de personnes libérées ou bénéficiant d’une remise de peine (il fallait apposer sa signature sur une attestation imprimée en bonne et due forme), il y avait, dans notre camp, un homme qui n’avait rien signé et auquel on n’avait remis aucune attestation.

C’était Mikhaïl Novikov, mon malade.

Le texte de l’amnistie de Béria avait été affiché sur toutes les palissades de la zone, et Novikov avait eu le loisir de l’étudier, d’y réfléchir et de prendre une décision.

D’après ses calculs, il devait être libéré en étant lavé de toute accusation, et non bénéficier d’une remise de peine. Complètement innocenté, comme les truands. Or, sur les documents qu’on lui avait apportés, on s’était contenté de commuer sa peine, si bien qu’il ne lui restait plus que quelques mois avant sa mise en liberté. Novikov n’était pas venu chercher ses papiers et n’avait rien signé.

Les représentants de la commission lui avaient dit qu’il valait mieux ne pas refuser cet avis de modification de peine. Qu’on allait réviser son affaire à la Direction, et corriger l’erreur s’il y en avait une. Novikov refusait de croire à cette possibilité. Il ne retira pas ses papiers et contre-attaqua en envoyant une réclamation rédigée par Bloomstein, un juriste originaire de Minsk, comme lui, avec lequel il avait fait de la prison en Biélorussie et du camp à la Kolyma. À Baragone, dans leur baraque, ils dormaient ensemble et, comme disent les truands, « ils mangeaient à la même gamelle ». Une réclamation avec des considérations personnelles sur sa condamnation et ses possibilités.

C’est ainsi que Novikov se retrouva tout seul dans une baraque vide, traité d’imbécile qui ne voulait pas faire confiance aux autorités.

Ce genre de requête formulée par des gens à bout de forces, épuisés, au moment où l’espoir surgit enfin, est une chose extrêmement rare à la Kolyma, et dans les camps en général.

La réclamation de Novikov fut envoyée à Moscou. Évidemment ! Seule Moscou pouvait remettre en cause ses propres compétences juridiques et ses propres décisions. Cela, Novikov le savait bien, lui aussi.

Un flot trouble et sanglant déferlait sur le territoire de la Kolyma, le long des chaussées, se ruant vers la mer, vers Magadane, vers la liberté du continent. Un autre flux non moins trouble descendait la Léna, prenait d’assaut les débarcadères, les aérodromes et les gares de Yakoutie, de Sibérie orientale et occidentale, arrivait jusqu’à Irkoutsk, Novossibirsk, et se répandait plus loin encore vers la Grande Terre, rejoignant les flots tout aussi troubles et sanglants en provenance de Magadane et de Vladivostok. Les truands ne firent que changer de climat et détroussèrent à Moscou aussi facilement qu’à Magadane. Bien des années devaient s’écouler et bien des gens devaient périr avant que cette vague de boue soit de nouveau refoulée derrière les barreaux.

Les baraques des camps étaient envahies par des milliers de rumeurs, toutes plus effroyables et plus fantastiques les unes que les autres.

Un courrier venu de Moscou, via Magadane, nous apporta non pas une rumeur (il est rare que les courriers officiels en propagent), mais un document certifiant la libération complète de Novikov.

Novikov reçut ses papiers une fois éteints les derniers flonflons de l’amnistie. Et il attendit le passage d’une voiture, n’osant même pas songer à emprunter le même chemin que Bloomstein.

Tous les jours, il s’asseyait sur son châlit à l’infirmerie, et il attendait, attendait…

Entre-temps, Tkatchouk avait reçu la première relève en hommes après les ravages de l’amnistie. Le camp, loin d’être fermé, s’agrandissait et augmentait. On affecta à notre Baragone un nouveau bâtiment, une nouvelle zone, où l’on érigea des baraques et, cela va de soi, un poste de garde, des miradors, un isolateur, ainsi qu’un lieu de rassemblement pour l’envoi au travail. Le fronton du portail du camp arborait déjà le slogan officiel : « Le travail est affaire d’honneur et de gloire, affaire de vaillance et d’héroïsme ».

On disposait de toute la main-d’œuvre que l’on voulait, les baraques étaient prêtes, mais le chef de l’OLP avait le cœur gros : il n’y avait pas de plates-bandes ni de gazon fleuri. Tout était là, l’herbe, les fleurs, le gazon, les lattes pour les palissades, il ne manquait qu’un homme capable de repiquer les fleurs et le gazon. Or, sans massifs de fleurs et sans gazon, sans la symétrie concentrationnaire, qu’est-ce qu’un camp, même de troisième classe ? Il y avait loin de Baragone à Magadane, à Soussoumane, ou à Oust-Néri…

Mais même un camp de troisième classe a besoin de fleurs et de symétrie.

Tkatchouk avait interrogé un par un tous les détenus et s’était même rendu dans l’OLP voisin : il n’y avait personne qui eût reçu une formation d’ingénieur, aucun technicien capable de repiquer un gazon et une plate-bande sans nivelle.

Novikov, lui, en était capable. Mais, piqué au vif, il ne voulait même pas en entendre parler. Il n’était plus tenu d’obéir aux ordres de Tkatchouk.

Ce dernier, persuadé qu’un détenu a la mémoire courte, lui proposa de piqueter le camp. Mais il découvrit que la rancune d’un prisonnier était plus tenace que ne le pense un chef d’OLP.

Le jour de l’inauguration du camp approchait. Personne ne pouvait repiquer les massifs de fleurs. Deux jours avant la date fixée, Tkatchouk, marchant sur son amour-propre, s’adressa à Novikov, non pour lui donner un ordre ou lui demander conseil, mais en le suppliant. Voici ce que Novikov répondit à la prière du chef de l’OLP :

« Il est hors de question que je fasse quoi que ce soit dans ce camp sur votre demande. Mais, pour vous dépanner, je vais vous faire une suggestion : adressez-vous à votre aide-médecin. Si c’est lui qui me le demande, tout sera prêt à l’heure dite. »

Cette conversation me fut rapportée par Tkatchouk, ponctuée de jurons à l’adresse de Novikov. Après réflexion, je demandai à Novikov de repiquer les fleurs. En deux heures, tout fut terminé. Le camp resplendissait : les plates-bandes étaient retournées, les fleurs plantées, l’OLP inauguré.

Novikov quitta Baragone avec le dernier convoi de l’automne 1953.

Nous nous sommes revus avant son départ.

— Je vous souhaite de partir d’ici, d’être vraiment libéré, me dit-il, lui qui s’était libéré lui-même. Cela arrivera, je vous assure. Je donnerais cher pour vous revoir quelque part à Minsk ou à Moscou.

— Ce sont des rêves, Mikhaïl Ivanovitch.

— Non, non, ce ne sont pas des rêves. Je suis devin, et je sens que vous allez être libéré. Je le sens !

Trois mois plus tard, j’étais à Moscou.

1972

Récits de la Kolyma
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