Le commissaire aux armées
L’intervention (extraction d’un corps étranger de l’œsophage) avait été inscrite sur le calendrier des opérations de la main de Valentin Nikolaïevitch Traut, l’un des trois chirurgiens chargés d’opérer. Ce n’était pas lui l’intervenant principal, mais Anna Sergueïevna Novikova, une élève de Voïatchek, une oto-rhino-laryngologiste de la capitale, une beauté méridionale qui n’avait jamais fait de prison, comme ses deux assistants Traut et Lounine. C’est justement parce que Novikova était le chirurgien principal que l’opération avait été retardée de deux jours. Pendant quarante-huit heures, on avait arrosé d’eau et abreuvé d’ammoniaque la brillante élève de Voïatchek, on lui avait fait des lavages d’estomac et on lui avait fait boire des litres de thé très fort. Au bout de deux jours, ses doigts avaient cessé de trembler et l’opération avait commencé. C’était une alcoolique invétérée, une droguée qui, à peine dégrisée, versait le contenu de tous les flacons dans une écuelle noirâtre et avalait cette mixture pour de nouveau s’enivrer et s’endormir. Dans ces cas-là, il lui suffisait de très peu. À présent, revêtue d’une blouse blanche et d’un masque, elle aboyait après ses assistants et leur lançait des ordres brefs. Elle s’était rincé la bouche, et les relents d’alcool ne parvenaient à ses assistants que par intermittence. L’infirmière, dont les narines frémissaient en respirant cette odeur incongrue, esquissait sous son masque un sourire qu’elle réprimait aussitôt. Ses assistants, eux, ne souriaient pas et ne songeaient guère à l’odeur. L’opération requérait toute leur attention. Traut avait déjà fait des interventions de ce genre, mais rarement. Quant à Lounine, c’était la première fois qu’il y assistait. Pour Novikova, c’était une occasion de montrer sa classe, ses mains d’or, et sa haute qualification professionnelle.
Le malade n’avait pas compris pourquoi on avait retardé l’opération d’un jour, puis encore d’un jour, mais il n’avait rien dit. Ce n’était pas à lui de donner des ordres, ici. Il logeait chez le directeur de l’hôpital. On lui avait dit : vous serez convoqué. Au début, on lui avait annoncé qu’il serait opéré par Traut, puis, au bout d’un jour, on lui avait déclaré : c’est pour demain. Et ce ne sera pas Traut, mais Novikova. Tout cela était angoissant, mais c’était un militaire et, de plus, il revenait de la guerre. Il avait pris sur lui. Ce malade avait un grade élevé, des épaulettes de colonel, et était commissaire aux armées d’une des huit régions militaires de la Kolyma.
À la fin de la guerre, le lieutenant Kononov, qui était à la tête d’un régiment, n’avait pas voulu quitter l’armée. En temps de paix, on avait besoin d’autres compétences. Tous les officiers démobilisés s’étaient vu proposer de rester dans l’armée, avec le même grade, mais dans les troupes du MVD chargées de la garde des camps. En 1946, la surveillance des camps avait été confiée à des unités de l’armée régulière, non à la VOKhR, la Garde militarisée, mais à des officiers de carrière galonnés et décorés. Ils conservaient tous leur grade, avec ration polaire, salaires et congés spéciaux – tous les privilèges du Dalstroï. Kononov, qui avait une femme et une fille, avait très vite compris la situation. Une fois à Magadane, il avait fait des pieds et des mains pour ne pas travailler dans les camps. Il avait renvoyé sa famille sur le continent et s’était fait nommer commissaire régional aux armées. Son domaine s’étendait sur des centaines de kilomètres le long de la route. Le contingent dont il devait faire le recensement vivait dans un rayon de dix kilomètres de part et d’autre de la route. Il avait vite compris qu’en convoquant les gens, il leur faisait perdre leur temps. Ils mettaient une semaine pour arriver au village où vivait le commissaire, et une semaine pour rentrer chez eux. C’est pourquoi toutes les opérations de recensement et toute la correspondance administrative s’effectuaient par l’intermédiaire de voyageurs. Une fois par mois, et même plus souvent, Kononov faisait le tour de sa région en voiture. Il se débrouillait bien et attendait, non de l’avancement, mais la fin du Nord, sa mutation, ou tout simplement sa démobilisation, sans plus songer à ses galons de colonel. À cause de tout cela (le Nord, une vie décousue) Kononov s’était mis à boire. Voilà pourquoi il était incapable d’expliquer comment un os, très gros au toucher, avait bien pu arriver dans son œsophage, comprimant les voies respiratoires au point qu’il ne pouvait plus parler qu’en chuchotant, et avec effort.
Bien sûr, il aurait pu aller jusqu’à Magadane avec son corps étranger dans la gorge, il y avait là-bas des médecins attachés à la Direction qui l’auraient secouru… Mais Kononov était commissaire aux armées depuis près d’un an, et il connaissait l’excellente réputation de la Rive Gauche, un grand hôpital pour détenus. Les livrets militaires de tous les employés, hommes et femmes, se trouvaient dans son bureau. Quand l’os était resté coincé dans sa gorge et qu’il avait compris qu’aucune force ne l’en ferait sortir sans une aide médicale, il avait pris sa voiture et s’était rendu à l’hôpital pour détenus de la Rive Gauche.
À l’époque, le directeur était Vinokourov. Ce dernier comprenait fort bien que si l’opération était une réussite, le prestige de l’hôpital qu’il venait de prendre en charge en serait accru. Son plus grand espoir reposait sur l’élève de Voïatchek, car il n’y avait pas de spécialistes aussi qualifiés à Magadane. Hélas ! Novikova y travaillait encore un an auparavant. « Le transfert à l’hôpital de la Rive Gauche, ou le renvoi du Dalstroï ! » « La Rive Gauche ! La Rive Gauche ! » s’était écriée Novikova au service du personnel. Avant Magadane, elle avait travaillé dans l’Aldane, et avant l’Aldane, à Leningrad. Partout, on se débarrassait d’elle en l’envoyant toujours plus au nord. Des centaines de promesses, des milliers de serments rompus. Elle se plaisait sur la Rive Gauche et tenait bon. Ses qualifications professionnelles se révélaient dans la moindre de ses remarques. Elle soignait en tant qu’oto-rhino les détenus comme les libres, les opérait, donnait des consultations et, brusquement, elle se mettait à boire. Les malades restaient sans soins et les libres s’en allaient, pendant que les détenus étaient traités par l’aide-médecin. Anna Sergueïevna ne mettait plus les pieds dans son service.
Mais lorsque Kononov s’était présenté et que l’on avait compris qu’il fallait l’opérer d’urgence, on avait donné l’ordre de remettre Anna Serguéievna sur pied. Le problème était que Kononov devait rester hospitalisé longtemps. L’extraction d’un corps étranger doit être faite en milieu stérile. Bien sûr, il y avait à l’hôpital deux services chirurgicaux, un septique et un stérile, dont les personnels étaient différents : celui du service stérile était mieux formé, celui du service septique moins qualifié. Il faudrait surveiller la cicatrisation, surtout dans l’œsophage. On trouverait une chambre individuelle pour le commissaire, cela allait de soi. Kononov ne voulait pas aller à Magadane, ses galons de colonel ne valaient pas grand-chose dans la capitale de la Kolyma. On l’hospitaliserait, naturellement, mais il ne ferait pas l’objet de soins particuliers. Là-bas, les généraux et leurs épouses accaparent tout le temps des médecins. À Magadane, il mourrait. Et mourir à quarante ans à cause d’un maudit bout d’os dans la gorge ! Kononov signa toutes les décharges qu’on lui demandait, il comprenait que c’était une question de vie ou de mort. Il était très angoissé.
— C’est vous qui allez m’opérer, Valentin Nikolaïevitch ?
— Oui, répondit Traut sans grande assurance.
— Alors qu’est-ce qu’on attend ?
— Encore un jour…
Kononov ne comprenait pas. On l’alimentait par le nez, il ne risquait donc pas de mourir de faim.
— Un autre médecin va encore vous examiner demain.
On amena à son chevet une femme. Elle situa immédiatement l’os et le palpa d’une main experte presque sans lui faire mal.
— Alors, Anna Sergueïevna ?
— Demain matin.
Cette intervention avait trente chances sur cent d’être mortelle. Kononov fut transporté dans la chambre postopératoire. L’os, qu’on lui avait laissé pour quelques heures dans un verre, était si énorme qu’il avait honte de le regarder. Il restait allongé. De temps en temps, le directeur lui apportait le journal.
— Tout se déroule très bien.
Kononov se trouvait dans une chambre minuscule où il y avait juste la place d’un lit. La période critique s’écoula, tout se passait à merveille, on n’aurait pu espérer mieux. La compétence de la disciple de Voïatchek portait ses fruits. Mais l’ennui, lui, se moque bien des périodes critiques. Un détenu, un prisonnier, peut confiner son ennui dans des cadres concrets, il apprend à l’apprivoiser grâce aux gardiens, aux grilles, aux appels, aux fouilles et à la distribution de nourriture, mais un colonel ! Kononov demanda conseil au directeur de l’hôpital.
— Je m’attendais à cette question depuis longtemps. Un homme est toujours un homme. Vous vous ennuyez, bien sûr. Mais je ne peux vous laisser sortir avant un mois, le risque est trop grand et le succès trop rare pour que l’on traite cela à la légère. Je peux vous autoriser à vous installer dans une chambre pour détenus, il y aura quatre personnes, vous serez la cinquième. Les intérêts de l’hôpital seront ainsi respectés, et les vôtres également.
Kononov accepta immédiatement. C’était une bonne solution. Le colonel n’avait pas peur des détenus. Ses fréquentations médicales l’avaient convaincu que les prisonniers étaient des êtres humains comme les autres, qu’ils ne le mordraient pas et ne l’assimileraient pas, lui, un colonel, un militaire de carrière, à un tchékiste ou à un procureur. Il n’était pas dans ses intentions d’étudier et d’observer ses nouveaux voisins. Il s’ennuyait tout seul, voilà tout.
Le colonel arpenta le couloir pendant des semaines, vêtu de sa blouse grise. Une blouse de détenu, fournie par l’État. Par la porte ouverte, je le voyais prêter une oreille attentive aux conteurs éditant des rômans.
J’étais alors aide-médecin en chef du service chirurgical. Puis on me transféra dans la forêt et Kononov disparut de ma vie, comme des milliers d’autres, ne laissant dans ma mémoire qu’une trace presque intangible, une sympathie presque imperceptible.
Une fois encore, lors d’une conférence médicale, j’ai entendu mentionner son nom par le conférencier, le nouveau médecin-chef de l’hôpital, un major nommé Koroliov. C’était un ancien combattant, grand amateur d’alcool et de bonne chère. Il ne resta pas longtemps médecin-chef, car il était incapable de résister à d’insignifiants pots-de-vin, à un petit verre d’alcool à 90 %. Il fut licencié à la suite d’un scandale et démis de ses fonctions, puis on le réembaucha, et il reparut en qualité de directeur du Département sanitaire de la Direction du Nord.
Après la guerre, le Dalstroï fut submergé par un flot d’aventuriers et d’imposteurs fuyant la justice et la prison en quête de la grosse galette.
Un certain commandant Alexeïev, arborant l’Étoile rouge et des galons de commandant, avait été nommé directeur de l’hôpital. Un jour, cet Alexeïev était venu à pied jusqu’à mon poste médical, s’y intéressant sans pourtant poser aucune question, puis il était rentré. Cette mission forestière se trouvait à vingt kilomètres de l’hôpital. À peine rentré, il avait été arrêté par des gens venus de Magadane. Il fut condamné pour le meurtre de sa femme. Il n’était ni médecin, ni militaire, mais il avait réussi à échapper à Magadane grâce à de faux papiers, et à se réfugier dans nos buissons de la Rive Gauche, où il se cachait. Les décorations, les galons, tout était faux.
Avant cela, nous recevions souvent la visite du directeur du Département sanitaire de la Direction du Nord. (Ce poste fut par la suite occupé par un ivrogne.) Ce célibataire parfumé et impeccablement vêtu avait reçu l’autorisation de rafraîchir sa formation et d’assister aux opérations.
— J’ai décidé de me recycler dans la chirurgie, murmurait Paltsyn avec un sourire condescendant.
Les mois passaient, et chaque fois qu’il y avait une opération, Paltsyn venait en voiture du centre du Nord, le village de Iagodnoïé, et déjeunait chez le directeur en faisant une cour discrète à sa fille. Traut, notre médecin, avait remarqué qu’il maniait assez mal la terminologie médicale, mais il y avait eu le front, la guerre… Tout le monde lui faisait confiance, et on l’initiait volontiers aux mystères des opérations. Et brusquement, il avait été arrêté. Cette fois encore, un meurtre commis sur le front. Paltsyn n’était pas médecin, c’était un polizei en cavale.
Tout le monde s’attendait à quelque chose d’analogue avec Koroliov. Mais pas du tout. Ses décorations, sa carte du Parti, son grade, tout était en règle. C’est donc ce Koroliov, médecin-chef de l’hôpital Central, qui nous fit un exposé lors de cette conférence médicale. Cet exposé n’était ni meilleur ni pire que les autres. Bien sûr, Traut, lui, était un homme cultivé, il avait été l’élève de Krause, un chirurgien gouvernemental, alors que celui-ci exerçait à Saratov. Quant à Roubantsev, c’était un vieux chirurgien d’un hôpital de zemstvo. Il aurait mieux valu donner la parole à l’un de ces deux-là…
Mais la spontanéité, la sincérité et le libéralisme trouvent toujours un écho dans les cœurs, et au cours de cette conférence scientifique qui rassemblait toute la Kolyma, le médecin-chef responsable des chirurgiens de la Rive Gauche entama avec délectation une tirade sur les performances chirurgicales…
— Nous avons eu un malade qui avait avalé un os, un os comme ça ! (Il montra la taille) Et qu’est-ce que vous croyez ? On l’a extrait. Les médecins dont je parle sont dans la salle et le patient aussi.
En réalité, le patient n’était pas là.
Peu après, je suis tombé malade et l’on m’a envoyé travailler dans une mission forestière. Un an plus tard, je suis revenu à l’hôpital pour prendre en charge le service d’accueil. Je me suis mis au travail et le troisième jour, je suis tombé sur le colonel Kononov à la réception.
Il éprouva une joie indescriptible en me voyant. Toute la direction avait changé. Il n’avait retrouvé aucune connaissance, j’étais le seul visage familier, et même très familier.
Je fis tout mon possible, radio, recommandation aux médecins, coup de téléphone au directeur. J’expliquai qu’il était le héros de la fameuse opération de la Rive Gauche. Son état de santé se révéla tout à fait satisfaisant, et avant son départ, il vint me voir à l’accueil.
— Je te dois un cadeau.
— Je n’accepte pas les cadeaux.
— Mais j’en ai fait à tout le monde : au directeur, aux chirurgiens, à l’infirmière et même aux malades hospitalisés avec moi. Les chirurgiens, je leur ai donné du tissu pour se faire faire des costumes. Toi, je ne t’avais pas trouvé. Mais je vais te remercier. L’argent, c’est toujours utile.
— Je n’accepte pas les cadeaux.
— Bon, alors je vais au moins t’apporter une bouteille.
— Ce n’est pas la peine, je n’accepterai pas.
— Que puis-je faire pour toi ?
— Rien.
On l’emmena à la radio, et l’infirmière qui était venue le chercher, une libre, me demanda :
— C’est le commissaire aux armées ?
— Oui.
— Je vois que vous le connaissez bien.
— En effet. Il a été hospitalisé ici.
— Si vous n’avez besoin de rien pour vous-même, demandez-lui donc de signer mon livret militaire. Je suis komsomole, et je ne peux pas faire trois cents kilomètres pour être recensée. C’est le Ciel qui l’envoie.
— Très bien, je le lui dirai.
Kononov revint, et je lui présentai la requête de l’infirmière.
— Où est-elle ?
— La voilà.
— Donne-moi ce livret, je n’ai pas de cachet sur moi, mais je te le rapporterai dans une semaine, je dois repasser par ici…
Il fourra le livret militaire dans sa poche. La voiture klaxonnait dehors.
Une semaine s’écoula, et le commissaire aux armées ne revenait pas. Deux semaines, un mois… Au bout de trois mois, l’infirmière vint me trouver.
— J’ai commis une erreur ! Il aurait fallu… C’était un piège !
— Comment ça, un piège ?
— Je ne sais pas, mais je suis exclue des komsomols.
— Pour quelle raison ?
— Pour avoir remis mon livret militaire entre les mains d’un ennemi du peuple.
— Mais vous l’avez donné au commissaire !
— Non, cela ne s’est pas passé comme ça. Je vous l’ai donné à vous, et vous… Dieu sait à qui ! Ils sont en train d’étudier mon cas au comité… pour savoir si je vous l’ai remis à vous ou au commissaire. J’ai dit que je vous l’avais donné. C’est bien ce qui s’est passé, non ?
— Oui, mais je l’ai remis au commissaire en votre présence !
— Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est qu’il m’arrive un grand malheur, on m’exclut des komsomols, on me chasse de l’hôpital.
— Il faut vous rendre au village, au Commissariat aux armées.
— Et perdre deux semaines. C’est ce que j’aurais dû faire dès le début.
— Quand partez-vous ?
— Demain.
Deux semaines plus tard, j’ai croisé dans un couloir l’infirmière, plus sombre qu’un ciel d’orage.
— Alors ?
— Le commissaire aux armées est parti sur le continent, il a été démobilisé. Maintenant, je dois faire des démarches, recevoir un nouveau livret. Je vais vous faire chasser de l’hôpital et envoyer à la section disciplinaire d’une mine d’or !
— Mais qu’ai-je à voir là-dedans ?
— C’est de votre faute ! C’était un traquenard, on m’a tout expliqué au MVD.
Je m’efforçai d’oublier cette histoire. Finalement, je ne fis l’objet d’aucune accusation et ne subis aucun interrogatoire, mais le souvenir que je gardais du colonel Kononov se nuança de coloris nouveaux.
Soudain, une nuit, je fus convoqué au poste de garde.
— Le voilà ! cria le colonel derrière la barrière. Laissez-le passer !
— Allez, passe !
— On m’avait dit que vous étiez parti sur le continent.
— Je voulais prendre des vacances, mais ils ne m’ont pas laissé partir. Du coup, j’ai demandé mon compte et donné ma démission. C’est définitif. Je m’en vais. Et je suis venu vous faire mes adieux.
— C’est uniquement pour cela que vous êtes venu ?
— Non. Quand j’ai remis mes dossiers, j’ai trouvé un livret militaire sur le coin de ma table, mais impossible de me rappeler où je l’avais pris ! S’il y avait eu ton nom dessus, je me serais souvenu. Et depuis, je ne suis pas revenu sur la Rive Gauche. Voilà, tout y est. Le tampon, la signature… Prends-le et remets-le à cette dame.
— Non, dis-je, vous le lui remettrez vous-même.
— Comment cela ? En pleine nuit ?
— Je vais envoyer quelqu’un la chercher. Il faut le lui remettre en mains propres, colonel Kononov.
— Comme tu voudras.
L’infirmière arriva en courant, et Kononov lui rendit son livret.
— C’est trop tard, j’ai déjà fait ma déclaration de perte, et on m’a exclue du Komsomol. Attendez… Écrivez quelques mots sur ce formulaire.
— Je vous présente toutes mes excuses.
Et il disparut dans le brouillard glacé.
— Eh, bien ! Je vous félicite ! fit-elle rageusement. En 1937, on vous aurait fusillé pour une histoire de ce genre.
— Oui, répondis-je. Et vous aussi.
1970-1971