Galina Pavlovna Zybalova

La première année de la guerre, la lanterne de la vigilance vit sa mèche fuligineuse baisser de façon considérable. On enleva le fil de fer barbelé autour des baraques de 58, et les ennemis du peuple furent autorisés à remplir des fonctions importantes comme celles de chauffagiste, de chef de baraque ou de gardien de nuit, emplois qui, selon la constitution concentrationnaire, ne pouvaient être occupés que par des droit commun ou, au pire, par des délinquants récidivistes.

Le docteur Lounine, un détenu responsable de notre service sanitaire, un homme réaliste et pragmatique, estima à juste titre qu’il fallait saisir l’occasion et battre le fer pendant qu’il était chaud. L’auxiliaire du laboratoire chimique de la région minière d’Arkagala avait été surpris à voler de la glycérine appartenant à l’État (du gâteau… à cinquante roubles la boîte !), et son remplaçant en avait dérobé deux fois plus dès la première nuit. La situation prenait une tournure critique. Au cours de mes pérégrinations à travers les camps, j’ai constaté que tout détenu affecté à un nouveau poste commençait par regarder ce qu’il pourrait bien voler. C’est vrai pour tout le monde, depuis les auxiliaires jusqu’aux chefs de secteurs. Il y a à l’origine de cette propension des Russes au vol quelque chose de mystique. En tout cas, dans les conditions concentrationnaires, dans le Nord, à la Kolyma.

Tous ces moments, ces dénouements de situations récurrentes, les ennemis du peuple en tirent parti. Après le fiasco de la carrière du second droit commun au poste d’auxiliaire, Lounine me recommanda auprès du laboratoire : lui, au moins, n’ira pas voler vos précieux produits chimiques. Quant à l’entretien des poêles, surtout des poêles à charbon, en ce temps-là, à la Kolyma, n’importe quel 58 pouvait et savait s’en occuper bien mieux qu’un chauffagiste. Laver le plancher avec une serpillière nouée au bout d’un bâton, à la façon des matelots, c’était une chose qui m’était familière depuis la prison de transit de Magadane. En pratiquant cette activité durant tout le printemps 1939, moi, fameux laveur de planchers de Magadane, j’avais fini par acquérir une technique qui me resterait toute ma vie.

À cette époque, je travaillais dans une mine de charbon et je remplissais le « pourcentage ». Le charbon n’a rien à voir avec l’or, mais, bien entendu, le travail idyllique d’auxiliaire dans un laboratoire dépassait mes rêves les plus fous.

J’eus la possibilité de me reposer, de me laver le visage et les mains. Mes crachats, imprégnés de poussière de charbon, ne pourraient retrouver leur couleur claire qu’après des mois, sinon des années de ce travail en laboratoire. Mais je n’avais guère le loisir de penser à la couleur de mes crachats.

Ce laboratoire, qui occupait toute une baraque du village et employait un personnel considérable (deux chimistes, deux techniciens et trois laborantins), était dirigé par Galina Pavlovna Zybalova, une jeune komsomole de Moscou qui travaillait ici sur contrat, comme son mari Piotr Iakovlévitch Podossenov, un ingénieur chargé de la base automobile de la région minière d’Arkagala.

Les détenus regardent la vie des travailleurs libres comme un film, dramatique, comique ou à grand spectacle, selon les catégories classiques d’avant la révolution. Il est rare que des héros du cinématographe (et non du cinéma, comme on dit aujourd’hui), sortent de l’écran pour venir dans la salle du « théâtre électrique » (c’est ainsi que l’on appelait jadis les salles de cinéma).

Les détenus assistent à la vie des travailleurs libres comme on assiste à un film. C’est un plaisir d’un genre particulier. Il n’y a pas de décision à prendre. On n’est pas tenu d’intervenir. La coexistence de mondes différents ne pose pas de réel problème aux détenus. C’est un autre univers, voilà tout.

Je m’occupais des poêles. Le charbon demande à être manié correctement, mais ce n’est pas une science très compliquée. Je lavais les planchers. Et surtout, je soignais mes orteils : mon ostéomyélite, qui datait de 1938, ne devait guérir qu’après mon retour sur la Grande Terre, un peu avant le XXCongrès. Peut-être même n’était-elle pas encore terminée à ce moment-là.

Tout en changeant mes pansements et en emmaillotant mes orteils suintants et purulents dans des chiffons propres, je sombrais dans une torpeur béate à la chaleur du poêle, ne ressentant plus qu’une douleur diffuse et ténue au bout de mes doigts blessés par le gisement, mutilés par l’or. La béatitude exige une goutte de souffrance pour être absolue, on retrouve cela dans l’histoire de la société comme dans celle de la littérature.

J’étais en proie à un mal de tête lancinant, j’avais oublié la douleur sourde de mes doigts, éclipsée par une autre sensation plus nette, d’une importance plus vitale.

Je n’avais encore aucun souvenir, je n’avais rien résolu, rien trouvé, mais l’angoisse contractait toutes les cellules de mon cerveau exsangue. Ma mémoire, cette faculté inutile à la Kolyma (de fait, à quoi peut bien servir, pour un bagnard, cette mémoire si incertaine, si fragile, si tenace et si puissante ?), ma mémoire devait me souffler une décision. Ah ! Quelle mémoire j’avais autrefois… Quatre ans auparavant ! Rapide comme un éclair. Si je n’arrivais pas à me remémorer quelque chose immédiatement, j’en étais malade, et je ne pouvais rien faire tant que je n’avais pas retrouvé ce que je cherchais. Ce genre de blocages, dans ma vie, se comptaient sur les doigts. Le souvenir même de ces ratés me donnait d’ailleurs un coup de fouet et accélérait la course déjà rapide de ma mémoire.

Mais mon cerveau d’alors, mon cerveau d’Arkagala, martyrisé par l’année 1938, puis par quatre années de pérégrinations de mines en hôpitaux, détenait un secret, et refusait de se plier à mes ordres, à mes demandes, à mes supplications, à mes prières et à mes implorations…

Je priais mon cerveau, comme on prie un être supérieur, de me répondre, de trouer cette cloison, d’éclairer la crevasse obscure où se dissimulait ce dont j’avais besoin.

Et mon cerveau se laissa fléchir, il accéda à ma demande et exauça ma prière.

Quelle était donc cette prière ?

Je me répétais sans arrêt le nom de la responsable du laboratoire : Galina Pavlovna Zybalova… Pavlovna… Zybalova… Zybalova…

J’avais déjà entendu ce nom quelque part. J’avais connu quelqu’un qui s’appelait Zybalov. Zybalov, ce n’est pas Ivanov, Pétrov ou Smirnov. Ça sonnait comme un nom de la capitale. Et soudain, transpirant sous l’effort, je me suis souvenu. J’avais connu de près quelqu’un portant ce nom, mais ce n’était ni à Moscou, ni à Leningrad, ni à Kiev.

En 1929, alors que je purgeais ma première peine en travaillant dans le nord de l’Oural, j’avais connu un Zybalov à l’usine de soude de Bérezniki. Un économiste en relégation qui dirigeait le service de planification, Pavel Pavlovitch, je crois. Il avait été membre du comité central des mencheviks, et on le montrait du doigt aux autres déportés depuis le seuil du bureau de l’usine de soude où il travaillait. Un peu plus tard, avec le début des procès retentissants, Bérezniki avait été submergé par un flot de détenus de toutes sortes, des déportés, des bagnards, des kolkhoziens déplacés, et le nom de Zybalov, parmi ces nouveaux héros, avait été un peu oublié. Il avait cessé d’être une curiosité de Bérezniki.

L’usine de soude, ancienne usine Solvay, avait été intégrée au combinat chimique de Bérezniki et insérée dans l’un des chantiers géants du premier plan quinquennal, le chantier chimique de Bérezniki, qui absorbait des centaines de milliers d’ouvriers, d’ingénieurs et de techniciens, tant russes qu’étrangers. Il y avait à Bérezniki un village d’étrangers, de relégués, de déportés, et de prisonniers. Dix mille détenus y travaillaient de nuit comme de jour. Un chantier aux effectifs incroyablement instables. Tous les mois, trois milliers de contractuels libres se faisaient embaucher, et quatre mille s’en allaient sans demander leur compte. Ce chantier attend encore son chantre. Les espoirs fondés sur Paoustovski[4] se sont révélés vains. Il s’était rendu sur place et il avait écrit Kara-Bougaz cloîtré dans sa chambre d’hôtel de Bérezniki, sans mettre le nez dehors, fuyant la foule grouillante et bouillonnante.

L’économiste Zybalov avait alors quitté son emploi à l’usine de soude pour un poste sur le chantier du combinat : c’était mieux payé, cela avait une autre envergure, et puis le système des cartes d’alimentation avait son importance.

Il animait au combinat chimique un petit cercle d’économie pour amateurs. Un cercle gratuit ouvert à tous. C’était son activité sociale. Les réunions se tenaient dans le principal bâtiment administratif du chantier. J’avais assisté à plusieurs de ses exposés dans le cadre de ce cercle.

Ce professeur moscovite en relégation enseignait avec aisance et y prenait plaisir. Les conférences, le travail d’enseignant lui manquaient. J’ignore s’il avait donné onze mille cours dans sa vie, comme un autre de mes camarades de camp, mais il ne fait aucun doute qu’ils devaient se compter par milliers.

Sa femme était morte à Bérezniki pendant sa relégation, lui laissant une fille de dix ans qui venait parfois voir son père pendant les cours.

On me connaissait bien à Bérezniki. J’avais refusé de partir avec Berzine pour ouvrir le chantier du Dalstroï à la Kolyma, et j’essayais de trouver un emploi sur place.

Mais lequel ? Juriste ? Je n’avais pas terminé mes études de droit. C’était justement Zybalov qui m’avait conseillé d’accepter le poste de responsable du Bureau d’économie du travail (BET) à la Centrale thermique, la TETs, selon les fameuses trouvailles linguistiques de l’époque, qui sont d’ailleurs nées chez nous, sur le chantier du premier plan quinquennal. Le directeur de la TETs, l’ingénieur Kapeller, était un saboteur, une victime du procès des Chakhty ou d’un autre. La TETs était déjà une exploitation et non plus un chantier, les délais de mise en train s’étiraient de façon éhontée, mais c’était devenu la norme partout. Kapeller, condamné à dix ou même à quinze ans, n’arrivait pas à se mettre au diapason de ce chantier tapageur où l’on changeait tous les jours d’ouvriers et de techniciens, où l’on finissait par arrêter et fusiller les chefs, où l’on déchargeait des convois de paysans déportés à la suite de la collectivisation. Kapeller avait été condamné chez lui, à Kizel, pour des fautes bien moins graves que les gaspillages aberrants qui s’accumulaient ici en puissantes avalanches. Des coups de marteau résonnaient encore à côté de son bureau, et Moscou envoyait des télégrammes afin de faire venir de l’étranger des guérisseurs pour la chaudière montée par la compagnie Ganomag.

Kapeller m’embaucha avec la plus grande indifférence, il était préoccupé par des problèmes et des tragédies techniques, non moins nombreuses que les tragédies économiques et quotidiennes.

Pour aider Kapeller, le parti lui avait recommandé, en qualité d’assistant lors des réunions de production, Timofeï Ivanovitch Ratchev, un homme peu instruit, mais débordant d’énergie, qui avait posé comme condition première de « cesser le pillage ». Le Bureau de l’économie du travail était sous la responsabilité de Ratchev, et j’ai longtemps gardé l’une de ses instructions manuscrites : les chauffagistes avaient présenté une revendication importante et parfaitement fondée en réclamant une révision de leurs salaires insuffisants. Ils étaient venus voir Ratchev plusieurs fois à ce sujet. Sans même lire leurs revendications, il avait écrit : « Au camarade Chalamov, responsable du BET. Prière d’examiner la situation et, dans la mesure du possible, de refuser ».

C’était sur les conseils de Zybalov que j’avais postulé à cet emploi, moi, un juriste sans diplôme.

« Un peu d’assurance, que diable ! Lancez-vous ! Même si on vous renvoie au bout de deux semaines (c’est impossible plus tôt à cause des conventions collectives), vous aurez acquis une certaine expérience. Ensuite, faites-vous embaucher ailleurs. Au bout de cinq licenciements, vous serez un économiste ! Ne vous en faites pas. Si vous tombez sur un os, venez me voir. Je vous aiderai. Je ne vais pas m’en aller, moi. Je ne suis pas soumis aux lois de fluctuation du personnel ».

J’avais donc pris cet emploi fort bien payé.

À la même époque, Zybalov mettait sur pied une école du soir d’économie. Pavel Pavlovitch (oui, je crois que c’était bien Pavlovitch) était le professeur principal. Et l’on s’apprêtait à me confier un cours sur « l’hygiène et la physiologie du travail ».

J’avais déjà rempli les formalités pour travailler dans cette école technique et réfléchi au plan de mon premier cours, quand j’avais reçu une lettre de Moscou : mes parents étaient vivants, mes camarades d’université aussi. Demeurer à Bérezniki équivalait à un suicide. J’avais alors quitté la TETs sans demander mon compte, tandis que Zybalov, lui, était resté à Bérezniki.

Tout cela me revint en mémoire à Arkagala, dans le laboratoire chimique de la région minière, aux portes du mystère des acides aminés.

Le rôle du hasard est immense dans la vie et, bien que l’on soit généralement puni par des lois suprêmes et universelles lorsqu’on l’utilise à des fins personnelles, il arrive néanmoins que l’on échappe au châtiment. Il fallait que je creuse cette histoire de Zybalov jusqu’au bout. Peut-être avais-je tort. À cette époque, je n’en étais plus à quémander un morceau de pain. Un gisement de houille n’est pas un gisement aurifère et le charbon n’est pas l’or. Peut-être aurait-il mieux valu ne pas bâtir de château de cartes que le vent allait balayer et disperser aux quatre coins du monde.

Mon arrestation liée à l’affaire des juristes, trois ans plus tôt, m’avait pourtant appris une loi primordiale des camps : il ne faut jamais demander quoi que ce soit à des gens que l’on a personnellement connus en liberté. Le monde est petit, et ce genre de rencontre peut très bien se produire. De telles requêtes sont presque toujours malvenues, parfois impossibles à exaucer, et il arrive qu’elles conduisent à la mort du solliciteur.

Ce danger existe à la Kolyma, comme dans n’importe quel camp, d’ailleurs. J’avais un jour rencontré Tchékanov, mon compagnon de cellule aux Boutyrki. Non seulement il m’avait reconnu dans la foule des travailleurs lorsqu’il avait pris son poste de contremaître dans notre secteur, mais tous les jours, il me faisait sortir des rangs, me rouait de coups, et m’affectait aux travaux les plus pénibles, où je ne pouvais pas remplir la norme, bien entendu. Chaque jour, il faisait au chef de secteur un rapport sur mon comportement en déclarant qu’il écraserait cette vermine, qu’il ne niait pas m’avoir personnellement connu jadis, mais qu’il allait prouver son dévouement et justifier la confiance que l’on avait placée en lui. Tchékanov était tombé sous le coup du même article que moi. Il a fini par m’expédier dans une zone disciplinaire, et je suis resté en vie.

Je connaissais également le colonel Ouchakov, le directeur de la Police criminelle, puis du secteur fluvial de la Kolyma. Je l’avais rencontré alors qu’il n’était qu’un simple agent du MOUR, condamné pour faute professionnelle.

Jamais je n’ai tenté de me rappeler au souvenir du colonel Ouchakov. J’aurais été tué sur-le-champ.

Enfin, je connaissais tous les chefs les plus haut placés de la Kolyma, à commencer par Berzine en personne, ainsi que Vaskov, Maïssouradzé, Filippov, Égorov et Tsvirko.

Étant au fait des traditions de la Kolyma, je ne sortais jamais des rangs pour solliciter quoique ce soit auprès d’un chef que j’avais connu personnellement, et attirer ainsi l’attention sur moi.

Dans l’affaire des juristes, à la fin de l’année 1938, seul le hasard m’avait évité d’être exécuté au gisement Partisan, au moment des fusillades de la Kolyma. Toute cette affaire avait été montée contre Vinogradov, le président du Tribunal suprême du Dalstroï : on l’accusait d’avoir procuré du pain et un emploi à un de ses anciens condisciples à la faculté de droit, Dmitri Sergueïevitch Parfentiev, ex-procureur à Tchéliabinsk, puis en Carélie.

Lors d’une visite au gisement Partisan, le président du tribunal du Dalstroï n’avait pas jugé nécessaire de dissimuler ses liens avec un haveur, le professeur Parfentiev, et il avait demandé à L. M. Anissimov, le directeur du gisement, d’affecter Parfentiev à un travail moins pénible.

Son ordre avait été aussitôt exécuté, et Parfentiev était devenu marteleur. On n’avait pas pu lui trouver de tâche plus facile, mais ce n’était tout de même pas le front de taille à ciel ouvert, en plein vent, par un froid de moins 60°, ni la rivelaine, le pic ou la pelle. Il est vrai que le forgeron travaille derrière une porte battante, toutes fenêtres ouvertes, mais il y a quand même le feu de la forge, et l’on peut au moins se protéger du vent, sinon du froid. Or le trotskiste Parfentiev, l’ennemi du peuple Parfentiev, avait subi une opération du poumon à la suite d’une tuberculose.

Léonid Anissimov, le directeur du gisement, avait accédé à la demande de Vinogradov, mais il avait immédiatement adressé un rapport à toutes les instances possibles et imaginables. L’Affaire des juristes était amorcée. Le capitaine Stolbov, chef du SPO[5] de Magadane, avait fait arrêter tous les juristes de la Kolyma, vérifiant leurs relations, ajustant, serrant et raidissant le nœud coulant de son coup monté.

Au gisement Partisan, j’avais été arrêté avec Parfentiev, et nous avions été tous deux enfermés dans la prison de Magadane.

Mais au bout de quarante-huit heures, le capitaine Stolbov avait été lui-même appréhendé, et tous les gens arrêtés sur son ordre avaient été relâchés.

J’ai raconté cette affaire en détail dans « Le complot des juristes », dont chaque mot est véridique.

Je ne fus pas remis en liberté : à la Kolyma, la liberté, c’est quand on est gardé dans le même camp, mais dans une baraque commune, avec les mêmes droits que les autres. À la Kolyma, la liberté n’existe pas.

On me transféra avec Parfentiev dans un camp de transit de trente mille personnes, avec, sur mon dossier, une estampille violette : « Ex-détenu, a séjourné à la prison de Magadane ». Ce sceau me condamnait à vivre d’innombrables années sous le feu de la vigilance attentive des autorités, jusqu’au jour où mon vieux dossier marqué de l’estampille violette serait remplacé par la chemise vierge d’un nouveau dossier pénitentiaire, d’une nouvelle condamnation. Encore une chance que cette nouvelle peine n’ait pas été en plomb, une balle de sept grammes. Mais était-ce vraiment une chance ? Une peine en plomb m’aurait épargné les souffrances à venir, des années de tourments qui n’ont servi à personne et à rien, pas même à parfaire mon expérience psychologique ou morale, ou à développer mon endurance physique.

Quoi qu’il en soit, n’ayant pas oublié mes mésaventures après mon arrestation pour l’affaire des juristes au gisement Partisan, je m’étais fixé pour règle de ne jamais m’adresser de ma propre initiative à quelqu’un que j’avais connu, et de ne pas évoquer à la Kolyma les ombres du continent.

Mais dans le cas de Zybalova, je ne sais pourquoi, il me semblait que je n’attirerais pas d’ennuis à celle qui portait ce nom. C’était une femme de cœur, et si elle faisait une distinction entre les détenus et les travailleurs libres, ce n’était pas pour se poser en ennemie jurée des prisonniers, comme on apprend à le faire à tous les libres, dans toutes les sections politiques du Dalstroï, avant de leur faire signer leur contrat. Un détenu sent toujours la nuance chez un libre, il sent si son contrat comporte d’autres clauses que les instructions officielles. Il existe autant de nuances que d’êtres humains. Mais il y a une limite, une lisière, une frontière entre le bien et le mal, une barrière morale que l’on perçoit immédiatement.

Galina Pavlovna, de même que son mari Piotr Iakovlévitch, ne se considérait pas comme l’ennemie de chaque détenu pour la seule raison qu’il était un détenu, bien qu’elle fût la secrétaire du Komsomol de la région minière d’Arkagala. Piotr Iakovlévitch, lui, n’était pas membre du parti.

Galina Pavlovna passait souvent ses soirées au laboratoire, sans doute son bureau était-il plus accueillant que la baraque où elle logeait avec d’autres familles.

Je lui demandai si elle n’avait pas vécu dans l’Oural, à Bérezniki, à la fin des années vingt et au début des années trente.

— Si !

— Votre père s’appelle bien Pavel Pavlovitch Zybalov ?

— Pavel Ossipovitch.

— Exact ! Pavel Ossipovitch. Vous aviez une dizaine d’années…

— Quatorze.

— Et vous portiez un manteau bordeaux.

— Une pelisse rouge cerise.

— Oui, une pelisse. Et vous apportiez ses repas à Pavel Ossipovitch.

— C’est vrai. Ma mère est morte là-bas, à Tchourtane… Tu entends, Pétia (Piotr Iakovlévitch était assis à côté de nous), Varlam Tikhonovitch connaît papa !

— J’ai assisté à ses cours.

— Pétia est né à Bérezniki. Sa maison natale se trouve à Vérétié.

Podossénov me cita quelques noms comme Sobianikov et Kitchine, des gens bien connus à Bérezniki, à Oussol, à Solimansk, à Vérétié, à Tchourtane et à Dédioukhino, mais les circonstances de ma biographie ne m’avaient pas donné l’occasion de fréquenter des gens du pays.

Pour moi, tous ces noms de lieux sonnaient comme les Comanches et les Sioux, ou comme des poèmes en langue étrangère, mais Piotr Iakovlévitch les récitait comme une prière, en s’animant de plus en plus.

— Tout cela est recouvert de sable, maintenant, dit-il. Avec le combinat chimique…

— Papa se trouve à présent dans le Donbass, ajouta Galina Pavlovna.

Et je compris que son père était toujours en relégation.

Les choses en restèrent là. J’éprouvais un véritable plaisir, je jubilais de voir que mon pauvre cerveau avait si bien fonctionné. Un plaisir purement intellectuel.

Deux mois s’écoulèrent, pas plus, et un jour, en arrivant au travail, Galina me convoqua dans son cabinet.

— J’ai reçu une lettre de papa. Regardez !

Et je lus ces lignes, tracées d’une grosse écriture bien lisible qui m’était inconnue : « Je ne connais pas ce Chalamov, je ne me souviens pas de lui. Il est vrai que j’ai animé des cercles de ce genre partout où je me suis trouvé en relégation depuis vingt ans. Je continue à le faire aujourd’hui. Mais la question n’est pas là. À quoi rime ta lettre ? Que veux-tu vérifier ? Qui cherches-tu à contrôler ? Chalamov ? Toi-même ? Moi ? En ce qui me concerne, écrivait Zybalov de sa grosse écriture, voici ma réponse : agis envers ce Chalamov comme tu agirais envers moi si tu me rencontrais à la Kolyma. Mais tu n’avais pas besoin de m’écrire pour connaître ma réponse ».

— Vous voyez comment il a pris la chose, dit-elle, chagrinée. Vous ne le connaissez pas. Jamais il ne me pardonnera cette gaffe…

— Je ne vous avais rien dit de particulier.

— Moi non plus, je ne lui avais rien écrit de particulier. Mais vous voyez comment il considère ce genre de choses… Vous ne pouvez plus travailler ici, à présent, conclut-elle tristement. Il va encore falloir chercher un nouvel auxiliaire ! Je vais vous faire engager comme technicien, il y a un poste disponible officiellement réservé aux libres. Dès que Svichtchov, le directeur de la région minière, sera parti, il sera remplacé par l’ingénieur en chef Iouri Ivanovitch Kotchoura. Je passerai par lui.

On ne renvoyait jamais d’employés dans ce laboratoire, et je ne prenais la place de personne. J’ai donc entamé une carrière de laborantin et de technicien sous la direction et avec l’appui des ingénieurs Sokolov et Maximov. Ce dernier est aujourd’hui membre sain et sauf de l’Académie des Sciences d’Extrême-Orient.

J’ai rédigé pour Piotr Podossenov, le mari de Galina Pavlovna, un travail littéraire considérable : j’ai composé de mémoire un dictionnaire de l’argot de la pègre, en étudiant l’origine des mots, leurs mutations et leur sens. Ce dictionnaire contenait environ six cents mots, et n’avait rien à voir avec la littérature spécialisée éditée par la police criminelle à l’intention de ses collaborateurs. Le sujet était traité sur un autre plan, plus vaste, et sous un angle plus subtil. Ce dictionnaire, dont j’ai fait cadeau à Podossenov, est le seul ouvrage en prose que j’ai écrit à la Kolyma.

Le fait que Galina quitte son mari n’assombrit en rien mon bonheur sans nuages. Un film reste toujours un film. Je n’étais qu’un spectateur, et assister, même en gros plan, à la vie des autres, à leur drame, à leur tragédie, ne donnait pas l’illusion de la vie.

La désagrégation de ce couple ne fut pas due à la Kolyma, une contrée qui exacerbe tous les problèmes du couple et de la femme au point de dénaturer et de brouiller toutes les échelles des valeurs.

Galina Pavlovna était une femme intelligente d’une beauté de type légèrement mongol, elle était ingénieur chimiste, la profession la plus en vogue à l’époque, et c’était la fille unique d’un déporté politique russe.

Piotr Iakovlévitch, originaire de la région de Perm, était un timide qui le cédait en tout à sa femme, tant pour l’intelligence que pour les intérêts et les exigences. Ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre, cela sautait aux yeux, et, bien qu’il n’existe pas de lois pour la réussite d’un couple, celui-ci semblait voué à l’échec, comme tous les couples, du reste.

La Kolyma accéléra le processus et servit de catalyseur.

Galina avait une liaison, ou plutôt, un second amour, avec Iouri Ivanovitch Kotchoura, l’ingénieur en chef de la région minière. Or, Kotchoura avait une femme et des enfants. Je lui avais été présenté avant d’être sacré technicien.

— Voilà, c’est lui, Iouri Ivanovitch.

— Bien, avait-il dit, les yeux fixés, non sur Galina ou sur moi, mais sur le sol à ses pieds. Remplissez votre demande d’embauche.

Mais dans ce drame, tout était encore à venir. La femme de Kotchoura porta plainte auprès de la section politique du Dalstroï, et ce fut la valse des convocations, des commissions, des interrogatoires et des pétitions. L’État mit en branle tout son puissant appareil pour prendre la défense du premier couple, celui avec lequel le Dalstroï avait signé le contrat.

Sur les conseils de Moscou, qui estimait qu’une séparation ne manquerait pas de tuer cet amour et de rendre Kotchoura à son épouse, les hautes autorités de Magadane mutèrent Galina Pavlovna ailleurs.

Il va de soi que des mesures de ce genre n’ont jamais rien donné et sont vouées à l’échec. La séparation était néanmoins la seule façon de redresser la situation que l’État pût cautionner. Il n’existe pas d’autre issue que celle de Roméo et Juliette. C’était une tradition dans les sociétés primitives, et la civilisation n’a rien inventé de nouveau pour résoudre ce problème.

Après la lettre de son père, mes rapports avec Galina Pavlovna étaient devenus plus confiants.

« Postnikov est ici, Varlam Tikhonovitch, vous savez, l’histoire des mains… »

Bien sûr que j’avais envie de le voir, ce Postnikov !

Quelques mois plus tôt, alors que je marnais encore à Kadyktchane, et que mon transfert à la mine de charbon d’Arkagala (je ne parle même pas du laboratoire) m’apparaissait comme un miracle irréalisable, un évadé était arrivé une nuit dans notre baraque, c’est-à-dire dans notre tente en grosse toile doublée de carton ou de papier goudronné, je ne sais plus, et protégée par le coussin d’air de vingt centimètres conforme aux instructions de Magadane et de Moscou, ceci par un froid de moins 60°.

Le plus court chemin à pied sec vers le continent passe par Arkagala, par sa taïga, ses rivières, ses monts et ses gorges, à travers la Yakoutie et l’Aldaï, la Kolyma et l’Indiguirka.

La route migratoire des évadés, sa carte secrète, est celée au plus profond du cœur des fuyards, ils avancent en devinant d’instinct la direction. Et ils prennent toujours la bonne, comme un vol d’oies sauvages ou de cigognes. Car la Tchoukotka n’est pas une île, mais une presqu’île, et l’on appelle la Grande Terre le continent, en raison d’innombrables analogies : la longue route par mer et les départs dans les ports, près de l’île de Sakhaline, l’ancien bagne tsariste.

Tout cela, les autorités le savent, elles aussi. C’est pourquoi, l’été, elles placent autour d’Arkagala des postes, des patrouilles volantes, des opérationnels en civil et en uniforme.

Quelques mois plus tôt, le sous-lieutenant Postnikov avait attrapé un évadé. Il n’avait aucune envie de le conduire jusqu’à Kadyktchane, à dix ou quinze kilomètres de là, et l’avait abattu sur place.

Que faut-il présenter dans les postes de police du monde entier, ou presque ? Comment identifie-t-on un homme ? Il existe un passeport extrêmement précis, ce sont les empreintes de ses dix doigts. Ces empreintes figurent dans le dossier pénitentiaire de chaque détenu à la cartothèque centrale de Moscou, ainsi qu’à la Direction locale de Magadane.

Sans se donner la peine de ramener son détenu à Arkagala, le jeune lieutenant lui avait tranché les deux mains à la hache, les avait rangées dans son sac, et était allé faire un rapport sur sa capture.

Mais l’évadé s’était relevé, et il était arrivé de nuit dans notre baraque, livide, ayant perdu beaucoup de sang. Incapable de parler, il se contentait de tendre les bras. Notre chef de brigade avait couru chercher l’escorte, et l’évadé avait été emmené dans la taïga.

L’avait-on ramené vivant à Arkagala ou l’avait-on tout simplement achevé dans un fourré, ce qui aurait été d’ailleurs la solution la plus simple, tant pour l’évadé lui-même que pour l’escorte et pour le sous-lieutenant Postnikov ?

Ce dernier n’avait fait l’objet d’aucune sanction. Du reste, personne ne s’y attendait. Mais on avait beaucoup parlé de lui, même dans l’univers d’esclaves faméliques qui était alors le mien, et l’incident était encore frais.

Muni d’un morceau de charbon pour charger le poêle et le tisonner, j’entrai dans le bureau de la responsable.

Postnikov était un blond au teint clair d’une taille un peu au-dessus de la moyenne, pas un albinos, mais plutôt un de ces Nordiques aux yeux bleus typiques des régions côtières. Un homme tout ce qu’il y avait de plus ordinaire.

Je me souviens de l’avoir dévoré des yeux en cherchant sur son visage apeuré ne fût-ce qu’un seul des indices définis par Lavater et Lombroso…[6]

Un soir que nous étions assis près du poêle, Galina Pavlovna se tourna vers moi :

— Je voudrais vous demander conseil.

— À quel propos ?

— À propos de ma vie privée.

— Vous savez, Galina Pavlovna, depuis que je suis adulte, je vis selon un commandement important, dans le style de l’Évangile : « Tu ne donneras pas de leçon à ton prochain. » Chaque destin est unique. Et toutes les recettes sont fausses.

— Je croyais que les écrivains…

— Le malheur de la littérature russe est qu’elle se mêle toujours des affaires des autres, régente leurs destins, et s’exprime sur des questions auxquelles elle ne comprend rien, alors qu’elle n’a aucun droit de mettre le nez dans les problèmes moraux, alors qu’elle ne sait rien et ne veut rien savoir.

— Bon. Dans ce cas, je vais vous raconter une histoire, et vous l’apprécierez en tant qu’œuvre littéraire. Je prends sur moi toute la responsabilité de son caractère conventionnel et réaliste, ce qui, à mon sens, est exactement la même chose.

— Parfait. Essayons comme ça.

Elle brossa rapidement un croquis du plus banal des triangles, et je lui conseillai de ne pas quitter son mari.

Pour des milliers de raisons. Tout d’abord, l’habitude, la connaissance, peut-être limitée, mais irremplaçable, qu’elle avait de cet homme. Alors qu’en face, c’était l’imprévu, la boîte à surprises. Bien sûr, là aussi, il serait toujours possible de rompre.

Seconde raison : Piotr Podossenov était indiscutablement un homme bien. J’avais vécu dans son pays natal et j’avais pris un réel plaisir à écrire pour lui mon étude sur les truands. Tandis que Kotchoura, je ne le connaissais pas du tout.

Et enfin, troisième raison, la plus importante : je n’aime pas les changements. Je rentre toujours dormir chez moi, là où je vis, je n’apprécie pas la nouveauté, même pour ce qui est des meubles, j’ai du mal à m’y habituer.

Les changements qui ont bouleversé mon existence se sont toujours produits malgré moi, par l’action d’une volonté étrangère et manifestement malfaisante. Je n’ai jamais recherché les changements, le mieux étant l’ennemi du bien.

Il y avait aussi une autre raison, celle qui soulage chaque conseilleur de tout péché mortel : dans les histoires de cœur, les gens n’écoutent que les conseils qui ne vont pas à l’encontre de leur volonté profonde, tout le reste est écarté, éliminé à la lumière d’un changement complet des valeurs.

Comme tous les oracles, je ne risquais pas grand-chose. Pas même ma réputation.

J’avais prévenu Galina Pavlovna que mon conseil était purement littéraire et ne supposait aucun engagement moral.

Mais avant qu’elle ait pu prendre sa décision, des forces supérieures intervinrent dans cette histoire, conformément aux traditions de la nature, venant apporter leur aide à Arkagala.

Piotr Podossenov, son mari, fut tué. Un dénouement à la Eschyle. Un sujet classique. Il fut renversé dans l’obscurité hivernale par une voiture qui passait, et mourut à l’hôpital. Ce genre d’accident est fréquent à la Kolyma, et l’éventualité d’un suicide ne fut pas même évoquée. D’ailleurs il n’aurait jamais mis fin à ses jours. Il était un peu fataliste : « Puisque c’est le destin, il n’y a rien à faire ! » Or, c’était bien le destin et même la fatalité. Ce n’était vraiment pas la peine de faire mourir Podossenov. Est-ce qu’on tue les gens pour leur bonté ? Il est vrai qu’à la Kolyma, la bonté est un péché. Mais la méchanceté aussi. Cette mort ne résolut rien, elle ne dénoua ni ne trancha aucun nœud, et tout continua comme par le passé. On constatait seulement que des forces supérieures s’intéressaient à cette insignifiante petite tragédie de la Kolyma, à ce destin de femme.

Galina Pavlovna fut remplacée par un nouveau chimiste, un nouveau responsable. Sa première mesure fut de me renvoyer. Je m’y attendais. Dans leurs rapports avec les détenus, comme avec les travailleurs libres, du reste, les autorités de la Kolyma ne s’embarrassent pas d’explications. Et je n’en attendais aucune. C’eût été trop littéraire, trop dans le goût des classiques russes. Un beau matin, au moment du départ au travail, le répartiteur cria mon nom dans la liste des détenus affectés à la mine de charbon. Je pris ma place dans les rangs, je rajustai mes moufles, l’escorte nous compta, donna l’ordre de se mettre en marche, et je repris un chemin qui m’était familier.

Je n’ai plus jamais revu Galina Pavlovna.

1970-1971

Récits de la Kolyma
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