Pourtant j’ai cru en te rencontrant que je pourrais lâcher cette corde. Faux. Leila décide toujours.
Je vais partir, Vittoria. Si tu as été mon plaisir, Leila est mon destin.
Je suis attaché à toi autant que je peux l’être à une femme belle, intelligente, généreuse, que je désire, que je respecte, que je chéris.
Si je pars demain, nous aurons vécu un de nos plus beaux souvenirs. Si je reste, nous allons découvrir le couple imparfait que, pour l’instant, nos voluptés dissimulent.
Parce que je ne fais que passer, notre année de bonheur ne passera pas, elle brillera comme un phare dans notre vie ; au cas où je m’incrusterais, le malheur s’installerait car, à moins d’être un grand artiste, on ne peut rendre éternel le provisoire.
Pardonne-moi les larmes que ce mot va occasionner mais je préfère que tu pleures à cause de mon absence qu’à cause de ma présence. Je t’aime autant que je peux aimer, sûrement pas autant que tu le mérites.
À toi, malgré tout, pour toujours,
Saad Saad. »
Pour la première fois – et la dernière –, je lui avais livré mon nom.
En croisant le miroir de la chambre, je vérifiai que ma tenue était assez correcte pour l’auto-stop et me peignai.
Papa en profita pour surgir dans le cadre de la glace.
— Pourquoi partir, fils ? S’il s’agit de vivre, juste de vivre, tu peux vivre ici.
— Je dois vouloir plus.
— Quoi ?
— Je ne sais pas.
— S’il s’agit d’être aimé, ici tu es aimé. Ta bougeotte vire à l’absurde. J’ai peur que tu aies pris un mauvais pli, et, qu’à toute réalité, tu préfères des chimères.
— Je veux aller là où séjourne mon désir, à Londres. Et puis, je ne supporte rien de ce que le hasard m’apporte. Je me suis fixé un but, je n’aurai pas de repos avant de l’atteindre, il n’y aura plus d’escales.
— Bon, de toute façon, je te suis. Rajoute un peu de gel sur le côté droit.
— Merci.
Quelques heures plus tard, grâce à deux voitures successives qui m’aidèrent à parcourir le chemin, je débarquai dans le port de Palerme.
Je devais trouver le moyen de quitter la Sicile sans avoir à produire des papiers que je n’avais plus, sans dépenser non plus les quelques euros que la charité des villageois m’avait octroyés.
En battant la semelle sur le quai, en multipliant les observations, je tentai d’élaborer un plan. Alors que j’étudiais le chargement d’un ferry, une voix retentit derrière moi :
— Toi, mon gars, tu cherches un transport discret et gratuit, non ?
En me retournant, je découvris un colosse noir, une masse de chair et de muscles que moulaient un pantalon de nylon doré et un débardeur rose bonbon, portant quatre fausses montres de luxe en or au bras gauche, trois rondes et une carrée. Affalé sur une bitte d’amarrage, il me souriait avec des dents très écartées.
Songeant à mon arrivée au Caire, me rappelant l’altercation de Boubacar devant le bureau des Nations unies, je ne pus m’empêcher de songer que le destin m’envoyait, installé au bord du quai, la réincarnation de Boub. Je rendis son sourire au géant sans chercher à ruser dans ma réponse.
— Bien vu.
— Ah !