Pris sous leurs ailes protectrices, je me restaurai, gagnai quelques euros que j’envoyai sur-le-champ à ma mère.

Un jour, Max me sortit du sommeil avec un grand sourire.

— Saad, attrape ton balluchon, je t’emmène en Alsace, chez le docteur Schoelcher, le maire des morts.

— Le maire des morts ?

— C’est l’un de nos relais dans le Nord, un membre fondateur de notre association. Il veillera sur toi.

Je n’osai pas insister par peur d’avoir l’air imbécile. Le maire des morts ? Et il allait me veiller ? Qu’est-ce que cela signifiait ? Cela comportait-il une menace ?…

À la bienveillance tranquille de Max, je devinai que je devais m’égarer. J’oubliai ses mots et décidai de lui conserver ma confiance. Avais-je le choix, d’ailleurs ?

Nous traversâmes la France en remontant par l’est.

Sans doute parce que c’était le premier État d’Europe que je parcourais, le nez écrasé contre la vitre, je n’arrivais pas à croire qu’un pays puisse être si vert, ni qu’une terre se prête à des plantations aussi diverses, grasse, riche, humide, généreuse, encore moins qu’un paysage puisse accumuler tant de châteaux, de clochers, de forêts. Après quelques heures, j’enviais les troupeaux que nous dépassions, les vaches nonchalantes sur leur tapis d’herbe drue, les chevaux de trait dodus, les moutons obèses, indifférents. Même chien de ferme dans ce royaume somptueux me semblait une condition désirable.

Sur la route, nous croisions des voitures que je n’avais jamais vues, modernes, spacieuses, plus propres qu’au Moyen-Orient, plus neuves, plus rapides ; les chaussées, au rebours de chez nous, n’abîmaient pas les pneus car longues, lisses, égales, nettoyées, débarrassées des pierres et des crevasses ; en plus, des barrières continues bordaient le chemin.

— Toute la France est comme ça ? demandai-je.

— Ça veut dire quoi, comme ça ?

— Luxueuse comme la propriété d’un tyran ?

Max se tourna vers moi, me considéra, grave.

— C’est la propriété d’un peuple.

J’acquiesçai vite de la tête, souhaitant qu’il scrute la route plutôt que moi. Lorsqu’il se fut retransformé en conducteur attentif, je demandai encore.

— Un peuple si heureux ne doit jamais se plaindre, alors ?

Max éclata de rire.

— Il se plaint tout le temps.

Je secouai la tête, renonçant à comprendre. Des trains fuselés, extraordinairement rapides, trouaient parfois la campagne. Des avions entrelaçaient leurs traînes cotonneuses dans l’infini du ciel. Des camions géants se suivaient, paisibles, complices.

— C’est tous les jours comme ça ?

— Comme ça ?

— Autant de gens sur les routes ?

— C’est calme aujourd’hui.

Je soupçonnai Max de se moquer de moi.

La nuit tomba et la suite du voyage se révéla encore plus merveilleuse. Comme il avait quitté l’autoroute, Max traversait village après village, tous coquets, soignés, annoncés et salués par des ronds-points fleuris. J’aurais voulu m’arrêter dans chacun, arrêter le geste des commerçants qui baissaient le rideau de fer sur des vitrines étincelantes, bondir à l’intérieur des maisons éclairées d’une lumière d’or, franchir les rideaux pour devenir l’enfant de cette famille, le frère de celle-ci, m’asseoir au bout de cette table pleine, remplacer l’homme qui fermait ses volets pour retourner près de ses livres, rejoindre cette femme pensive dans son fauteuil pourpre à côté d’un bouquet.

Ulysse from Bagdad
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