Salma désormais ne bougeait plus. Était-ce à cause des réverbères qui se ployaient sur notre chemin vers l’hôpital, il me semblait que sa peau arborait une couleur insolite ; cependant, elle respirait encore, j’en étais sûr.

Aux urgences, un médecin militaire nous reçut, signifia aux soldats qu’ils pouvaient rejoindre leur poste, et m’ordonna de déposer Salma sur un lit recouvert d’un drap en papier.

Je le laissai l’examiner ; quand un soupir lui échappa, pour tromper mon angoisse et lui rappeler que je parlais anglais, je lui demandai doucement :

— Alors, docteur, qu’est-ce qu’elle a ?

Il se tourna vers moi, sembla soudain me découvrir.

— Une septicémie généralisée, mon garçon. C’est très grave.

— Elle va guérir ?

Il scruta mes yeux en prononçant, lentement, ces mots :

— Je vais lui administrer une piqûre, histoire d’avoir la conscience tranquille en sachant que nous aurons tout essayé, mais ne nous illusionnons pas : c’est trop tard, mon garçon.

Je m’effondrai, sans un mot, sur une chaise.

Il s’occupa quelques instants de Salma puis me prit par l’épaule.

— Mettez-vous tous les deux dans la pièce d’à côté. Posez l’enfant dans le lit et prenez le fauteuil. Je reste dans les environs.

Après notre installation dans la chambre, il rabattit la porte avec précaution.

Je lui désobéis : je n’abandonnai pas Salma sur le matelas mais la gardai contre moi, sur ma poitrine, en priant Dieu de l’épargner.

Juste avant le matin, je ressentis un excès de fatigue et me décidai à fermer les paupières quelques secondes.

À l’aube, quand je me réveillai, ma petite fiancée gisait, morte, entre mes bras.

— Cette fois-ci, c’est trop, Saad, je ne pleurerai pas.

Ma mère ne bronchait pas.

Après que j’eus rendu Salma à ma sœur, notre mère avait attrapé des traits sévères, impassibles, et cette froideur me glaçait plus que tout.

Elle m’observait avec intensité.

— Saad, je ne veux pas que ta vie s’arrête bien avant ta mort. Or c’est ce qui se passe ici.

— La vie est dure, certes, mais…

— C’est peut-être un signe de Dieu que tu n’aies plus de femme à ton goût ici : cela indique que tu dois prendre soin de ta famille. Il n’y a plus de temps à perdre. Si tu veux nous aider, tu t’expatries.

— Mais…

— N’ergote pas : tu dois partir.

— Vous n’avez pas besoin de moi ici ?

— Avec mes jambes, j’aurais couru aussi bien que toi d’un hôpital à un autre. Ce qui nous manquait, c’était l’argent. Si nous avions des dollars, nous aurions pu entrer chez le docteur Ben Saïd, nous aurions eu droit à des antibiotiques. Je ne veux plus revivre ça. Mon fils, je ne t’en supplie pas, je l’exige : émigre. Tu es jeune, vif, intelligent et fort. Tu travailleras à l’étranger et tu enverras tes économies. Il n’y a que toi qui nous sauveras.

— Vous laisser seules ? Penses-tu que Papa serait d’accord ?

Elle me considéra, hésita, regarda un instant derrière elle pour s’assurer que ses filles ne l’entendraient pas.

— J’en ai discuté avec lui, il est d’accord.

— Quand ?

— Hier soir.

Elle inclina le front, craignant ma réaction. Pensait-elle que j’allais la traiter de folle ? Je la réconfortai aussitôt :

Ulysse from Bagdad
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