Mon désir pour elle me poussait à l’embrasser, la caresser, la pénétrer, mais jamais à échanger. Le cœur recouvert d’une dalle de plomb, je n’imaginais guère ce que j’aurais pu lui narrer. Ainsi me comportais-je en amant correct mais muet.
Pour l’anniversaire de mon arrivée en Sicile, Vittoria décida d’organiser une fête.
Ce matin-là, son corps chaud se blottit contre moi, sa main caressa ma poitrine et, d’une voix mélodieuse, elle s’enquit :
— Alors, Ulysse, ne serait-il pas temps de m’avouer ton vrai nom ?
— Mm…
— Je sais, tu vas encore prétendre que tu ne t’en souviens plus. J’ai respecté ce mensonge mais je pense que, maintenant, au bout d’un an, j’ai droit à la vérité, non ?
Ouvrant de grands yeux, je la contemplai, admirai la perfection de ses traits, perdis mes doigts dans ses cheveux infinis et pensai que, objectivement, j’aurais dû être l’homme le plus heureux de la Terre. Pourtant, ce furent d’autres mots qui sortirent de ma bouche :
— Ulysse me convient bien. Je suis familiarisé avec.
C’était sec, froid, sans émotion. Elle cilla.
— J’aimerais que tu t’épanches, Ulysse, que tu me fasses confiance, que tu me décrives ton passé.
— Qu’est-ce que ça changerait ?
— Ça me permettrait de t’aimer mieux.
— Ta façon actuelle me convient.
— Ça prouverait que tu m’aimes.
Je tournai la tête vers la fenêtre ; la conversation commençait à me déplaire. Sans hausser le ton, avec la même chaleur douce, elle insista :
— Oui, ça prouverait que tu m’aimes, ce que tu ne m’as jamais dit. Et enfin, en te racontant, tu te donneras autant que je me suis donnée. Qu’en penses-tu ?
Je grognai un borborygme indistinct. Elle picora mon oreille puis conclut en sautant, vive, hors de lit :
— Penses-y, Ulysse. Et réponds-moi ce soir.
Pour ne pas y penser, je m’absorbai sur une perruche qui, derrière la fenêtre entrouverte, s’était installée sur notre balcon et avait décidé d’y construire son nid.
Puis je me levai pour prendre ma douche. En m’essuyant les pieds, je sentis une présence. Papa m’apparut, d’humeur badine.
— Fils, fils, fils ! Si ta mère voyait ça ! Vous constituez un couple magnifique, elle et toi. Tu es aussi brun qu’elle est blonde. On devrait vous enfermer au musée dans une cage pour célébrer l’espèce humaine.
— Ne t’excite pas, Papa. Et tu ne me semblais pas si coopérant lorsque je fréquentais Leila.
— Faux ! J’aimais autant Leila ! Vraiment ! Une fille hors du commun, originale, intelligente, qui fumait comme personne. Cependant tu as tellement souffert depuis que je me réjouis aujourd’hui davantage.
— Au fait, Leila, l’as-tu rencontrée au royaume des morts ?
— Non, jamais.
— C’est curieux.
— Oui, c’est curieux. Faut préciser qu’elle est morte avant moi.
— Ça change quelque chose ?
— Peut-être. Je ne sais pas.
Il désigna une boîte en cuir vert sur la coiffeuse et cligna de l’œil.