— Tu étais venu avec une intention précise ?
— Non…
— C’est un hasard qui t’amène ici ?
— Non plus… j’étais… j’étais juste venu te dire que… moi aussi… comme toi… je regrettais Leila.
— Comme moi ? Sûrement pas !
— Comme un cousin… Excuse-moi, je me rends compte que c’était une idée idiote. Aucun de nous deux n’a envie de…
— Oui, c’est inutile ! conclus-je.
Sur ce, je me relevai, le saluai et montai chez moi sans me retourner, sans suspecter non plus le vrai motif de sa visite ; celui-ci, je n’allais l’apprendre que plusieurs années après.
Ma famille me chahuta car elle avait imaginé le pire, et, après quelques éclaircissements déguisés, je me laissai soigner, câliner par les femmes ; sur l’essentiel, je n’avouai rien, informant simplement ma mère que j’avais tenté une démarche qui me permettrait d’émigrer.
À l’aube, la plante des pieds en feu, je me traînai à la salle de bains où je préparai, dans une cuvette d’eau chaude, une mixture à base de citronnelle et de graines de moutarde. Lorsque je plongeai mes talons dans le liquide, mon père surgit.
— Tu ne vas quand même pas faire ça ?
— Un bain de moutarde ?
— Non, terroriste !
Par les orteils, le bien-être m’envahit. Je m’y abandonnai quelques secondes avant de murmurer :
— C’est bien ta suggestion, non ?
— Putain, fils ! Pourquoi n’es-tu pas fichu de piger ce que je raconte du premier coup ?
— Parce que tu n'es pas clair du premier coup ! Tout le monde sait ça. Toi aussi d’ailleurs.
— Nom d’une pipe, je ne t’ai pas conseillé d’entrer dans un mouvement terroriste.
— « Vends ton corps, ta jeunesse, ta force », ça signifiait quoi ? Si j’avais été une fille, j’aurais imaginé que tu m’envoyais au bordel. Heureux que je sois un homme…
Ma mère passa la tête et me demanda avec une contenance inquiète :
— Ça ne va pas, Saad ?
— Si, Maman.
— Tu parles seul.
— Non, je parlais avec…
Je m’arrêtai. Elle devina. Ses yeux tournèrent autour de la pièce vide.
— Ah, il était là ?
— Oui.
— Dis-lui que je l’embrasse et que je l’attends, ce soir, pour l’infusion.
— Je n’y manquerai pas.
Quand ma mère disparut, mon père mit quelques minutes à réapparaître. Quoique affichant une face boudeuse, il s’était calmé.
— Pardonne-moi, fils. Je me suis mal expliqué, je ne voulais pas te pousser au terrorisme.
— Dommage. Ce n’est pas une mauvaise solution.
— C’est une solution nauséabonde. Saad, mon fils, chair de ma chair, sang de mon sang, connais-tu les commandements du parfait terroriste ?
— Non.
— Ils sont au nombre de sept. Crois-tu être capable de les adopter ?
— Continue.