Il arracha délicatement un pissenlit et le porta à ses narines.
— Depuis des millénaires, la terre n’est peuplée que de migrants et demain on migrera davantage, migrants politiques, migrants économiques, migrants climatiques. Mais les hommes sont des papillons qui se prennent pour des fleurs : dès qu’ils s’installent quelque part, ils oublient qu’ils n’ont pas de racine, ils prennent leurs ailes pour des pétales, ils s’inventent une autre généalogie que celle de la chenille errante puis de l’animal volant.
En soufflant avec délicatesse, il répandit les pollens au vent.
— Pourquoi m’aidez-vous, docteur Schoelcher ?
— Soit l’humanisme est à la mesure du monde, soit il ne l’est pas. Un véritable humaniste ne reconnaît pas les frontières.
Sur ce, il claqua les talons, me lança un trousseau de clés et m’annonça qu’il partait travailler à l’hôpital.
Je suivis sa voiture des yeux jusqu’à ce qu’elle disparaisse, minuscule, au sommet de la colline.
— Tu vois Saad, chair de ma chair, sang de mon sang, c’est ça les Français : ils croient te tenir un langage très rationnel alors qu’en réalité ils sont débordés par leurs sentiments. Cela dit, des êtres qui s’occupent autant de leurs morts ne doivent pas être totalement indifférents aux vivants, non ? Fils, c’est un beau pays qu’un pays capable de nommer un maire pour administrer les défunts. Ne voudrais-tu pas rester en France ? J’apprécie beaucoup un tel degré de civilisation, loin de la barbarie. Moi, je m’acclimaterais bien ici, pas toi ?
— L’Angleterre, Papa, l’Angleterre.
— Mais pourquoi ?
— Il y a plus de travail.
— Le travail tu n’as pas besoin d’en trouver plusieurs mais d’en trouver un.
— Hors de question. L’Angleterre est mon rêve, je ne sais pas pourquoi. La faute à Agatha Christie sans doute.
— J’aurais dû entreposer à la cave les romans policiers de Simenon, tu t’arrêterais ici. Alors, on continue, tu es sûr ?
— Oui.
— Bon. Après tout, cet homme-là n’était peut-être qu’une exception…