Des rumeurs couraient sur la santé de Saddam Hussein. Un jour, on lui avait diagnostiqué un cancer ; six mois après, on le prétendait terrassé par un infarctus ; puis un virus très rare l’avait rendu aveugle ; enfin, une hémorragie cérébrale le clouait au lit, muet, paralysé. Or des photographies récentes ou de nouvelles apparitions télévisuelles démentaient ces informations : il prospérait, le Guide du peuple, poil noir, abdominaux bridés par un corset, empâté, superbe, ignorant la famine. Au mépris de l’évidence, des convaincus s’obstinaient : « Ne soyez pas naïfs, le parti Baas nous présente un sosie, un des nombreux sosies du Président. » La tyrannie, elle, ne demeurait pas un leurre… Malgré les démentis, les rumeurs revenaient, colportées à la vitesse du débit arabe, constituant notre oxygène, des formes fugitives mais rémanentes d’espoir, l’espoir d’en finir avec lui. Ceux qui les inventaient entraient en résistance, pas en résistance active – trop dangereuse –, en résistance imaginative ; ils localisaient d’ailleurs les cancers avec beaucoup d'à-propos, larguant toujours la tumeur sur une zone stratégique de Saddam Hussein, une de celles que nous souhaitions voir disparaître en priorité, sa gorge, son cerveau, la palme de la fréquence revenant au gros côlon.
Si aucune maladie ne venait à bout du dictateur, murmuraient certains, peut-être les Américains, eux, qui s’armaient contre lui, allaient-ils y parvenir.
Même si les Américains n’étaient pas une maladie.
Quoique…
Mais n’allons pas trop vite.