On entre dans une bâtisse, on descend au sous-sol, on ouvre une porte, on me balance. Le battant se referme. C’est une cellule.
Voilà, fin du voyage.
J’ignorais où je me trouvais et pourquoi.
Plusieurs heures s’écoulèrent encore, heures que je mis à profit pour m’apaiser, tenter de cerner la situation. On se méfiait. On me testait. On voulait me montrer à ceux qui reconnaîtraient en moi un agent des Américains ou, pis, un agent des Israéliens. Pourvu que je ne leur rappelle personne ! songeais-je. Souhaitons que la nature ne m’ait pas joué la crasse de me doter d’un sosie…
Devinant qu’un interrogatoire musclé allait bientôt suivre, je m’y préparai, le redoutant autant que l’espérant. Il fallait que je leur inspire confiance, que je les convainque que j’étais des leurs, que je ne laisse parler, au fond de moi, que le Saad qui haïssait les Américains, les assassins de son père. Puisque ce Saad-là existait, je devais verrouiller les autres Saad – les Saad plus réfléchis, les Saad nuancés – à double tour derrière une porte capitonnée.
Lorsque j’eus perdu la notion du temps – par faim, par soif, par angoisse –, quatre hommes vinrent me chercher et l’on me poussa devant un bureau. L’homme qui trônait derrière une machine à écrire commença à aboyer :
— On t’a reconnu, chien ! On sait qui tu es ! Tu as marché vers ta tombe en t’adressant à nous.
Cette vocifération me confirma qu’ils ignoraient tout de moi, qu’ils en étaient exaspérés. Courage !
— Je veux être des vôtres.
— Qui crois-tu que nous sommes ?
— Ceux qui luttent contre l’Amérique.
— Tu es ami des Américains !
— Je les hais, ils ont tué mon père.
— Nous avons des preuves.
— Sûrement pas.
— Tu me traites de menteur ?
— Ni toi ni personne ne pourra jamais prouver que j’aime les Américains puisque je les hais.
L’échange dura, vif, violent, haché, pendant trois heures, durant lesquelles je ne me laissai pas démonter une seconde.
On me renvoya dans ma cellule, non sans m’avoir insulté.
Quelques instants plus tard, on m’accorda un morceau de pain, une gourde d’eau. Tiens, puisqu’on voulait que je vive, l’examen avait dû se révéler positif.
En me nourrissant, je me laissai aller à l’euphorie. Assurément, après leurs enquêtes et cette épreuve, ils allaient m’intégrer parmi les troupes de novices.
Cette perspective montrait bien ma naïveté.
Sitôt que j’allai mieux, on revint me chercher, on m’emmena dans une autre salle et là, dès que j’avisai les fouets et les ceintures de cuir, je compris ce qui m’attendait.
Terrorisé à l’idée de souffrir, je m’engourdis dans une frayeur qui me rendit si inexpressif que je dus donner l’illusion d’avoir du cran. La torture commença. Je criai, je hurlai, je me débattis, mais je ne quittai pas le personnage que je m’étais assigné : celui qui haïssait l’Amérique et les Américains. Plusieurs fois on s’adressa à moi en hébreu ou en persan, en me proposant d’abréger mon martyre, pour déterminer si je connaissais ces langues ennemies ; à chaque fois, je m’y rendis sourd. Les coups reprenaient néanmoins.
Un instant, alors que ma peau entaillée me brûlait, que j’apercevais mon sang en flaque sur le sol, je reçus dans les reins un nouveau coup si fort que j’entrevis une lumière soudaine, intense, j’éprouvai une sorte d’extase inopinée et perdis connaissance.
Le lendemain, je me réveillai dans une chambre à plusieurs lits. Seul couché parmi des hommes armés qui vaquaient çà et là, dans les pièces alentour, sans me prêter attention, je saisis qu’on m’avait remonté de la cave, ce qui était une promotion. Un adolescent vêtu de blanc, sans doute muet, me donna de l’aspirine et soigna mes plaies.